Dans un développement sans précédent, une délégation de haut niveau comprenant deux ministres clés du nouveau gouvernement syrien de transition et le chef des renseignements a atterri mercredi à Ryad, la capitale saoudienne. Cette visite, une première pour les nouveaux dirigeants islamistes au pouvoir depuis décembre dernier, marque un tournant majeur dans les relations entre la Syrie et l’Arabie Saoudite.
Selon une source proche de la diplomatie syrienne, cette délégation conduite par les ministres des Affaires étrangères Assaad al-Chibani et de la Défense Mourhaf Abou Qasra, ainsi que le patron du renseignement Anas Khattab, effectue ce déplacement sur invitation expresse de leur homologue saoudien. Un geste fort qui confirme le réchauffement des liens entre Damas et Ryad, après une longue période de gel.
La Syrie, d’un régime autoritaire à un gouvernement islamiste
Pour rappel, la donne politique en Syrie a radicalement changé le 8 décembre dernier quand les forces du groupe islamiste radical Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont renversé lors d’une offensive éclair l’ancien président Bachar al-Assad, au pouvoir depuis 2000. Le nouveau dirigeant syrien Ahmad al-Chareh, chef du HTS, a rapidement formé un gouvernement de transition, enterrant ainsi plus d’une décennie de règne autoritaire de la famille Assad.
Cette transition politique, bien qu’orchestrée par un groupe islamiste radical, semble avoir été accueillie favorablement par l’Arabie Saoudite. Ryad, qui avait rompu ses liens diplomatiques avec Damas en 2012 pour protester contre la répression des manifestations anti-Assad, voit désormais en la nouvelle équipe dirigeante une opportunité de renouer le dialogue et d’étendre son influence.
Un rôle clé pour Ryad dans la reconstruction de la Syrie ?
Ahmad al-Chareh lui-même, dans un entretien accordé la semaine dernière à la chaîne saoudienne Al-Arabiya, a clairement ouvert la porte à un partenariat renforcé avec le royaume wahhabite. Louant le rôle « très important » que pourrait jouer l’Arabie Saoudite en Syrie, il a évoqué de « grandes opportunités d’investissement » dans un pays dont l’économie et les infrastructures ont été ravagées par une décennie de guerre civile.
« L’Arabie Saoudite jouera certainement un rôle très important en Syrie, où elle pourrait tirer parti de grandes opportunités d’investissement. »
Ahmad al-Chareh, nouveau dirigeant syrien, dans un entretien à Al-Arabiya
Cette main tendue intervient alors que Ryad a activement œuvré ces derniers mois pour la réintégration de la Syrie dans le giron arabe. Un travail de persuasion qui a porté ses fruits en mai dernier avec le retour de Damas au sein de la Ligue arabe, tournant ainsi la page d’une décennie d’isolement diplomatique.
Le captagon, névralgique des relations syro-saoudiennes
Mais au-delà des enjeux politiques et économiques, cette visite pourrait aussi être l’occasion d’aborder un sujet brûlant : le trafic de captagon. Cette drogue de synthèse de la famille des amphétamines, dont la Syrie est devenue l’un des principaux producteurs selon l’ONU, trouve en effet en Arabie Saoudite un marché de choix.
À l’époque de Bachar al-Assad, le commerce de cette « drogue des djihadistes » avait contribué à faire de la Syrie l’un des plus importants narco-États du monde, générant des milliards de dollars de revenus pour le régime. Un trafic que le nouveau gouvernement syrien pourrait chercher à encadrer, voire à endiguer, pour s’assurer les bonnes grâces de Ryad.
La Syrie à la croisée des chemins
Cette première visite officielle à l’étranger des nouveaux dirigeants syriens marque donc un moment charnière. Après des années de guerre, de destructions et d’isolement, la Syrie semble déterminée à tourner la page et à se réinsérer dans le jeu régional. Et l’Arabie Saoudite, par son poids politique et ses moyens financiers, apparaît comme un partenaire incontournable dans cette entreprise.
Reste à savoir si ce rapprochement se traduira par une réelle stabilisation de la Syrie et une amélioration des conditions de vie de sa population. Après plus d’une décennie de conflit, les défis restent immenses pour ce pays meurtri qui cherche encore sa voie vers la paix et la reconstruction.