Ce dimanche, les rues de Pokhara, au centre du Népal, ont été le théâtre de violents affrontements entre police et manifestants venus soutenir l’ancien vice-Premier ministre Rabi Lamichhane, jugé pour fraude. Alors que le procès se déroulait au tribunal de district, des milliers de ses partisans se sont rassemblés aux abords, scandant des slogans hostiles au Premier ministre actuel et dénonçant ce qu’ils estiment être des accusations forgées de toutes pièces pour des motifs politiques.
Face à une foule en colère, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à faire usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau pour tenter de disperser les protestataires et sécuriser le périmètre du tribunal. Malgré le déploiement d’un important dispositif policier, avec des agents munis de matraques bloquant les accès, la tension est restée vive tout au long de la journée dans les rues de la ville.
Un procès sur fond de lutte anti-corruption
Rabi Lamichhane, 48 ans, est une figure bien connue de la scène politique népalaise. Ancien animateur de télévision réputé pour ses interviews sans concession de responsables publics, il s’est forgé une image de militant anti-corruption avant de se lancer en politique. En novembre 2022, porté par un sentiment de ras-le-bol à l’égard de la vieille garde politique, il accède au pouvoir avec son Parti national indépendant (PNI) et devient vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur.
Mais son ascension est brutalement stoppée en janvier 2023, lorsque la Cour suprême lui interdit d’exercer ses fonctions, lui reprochant de ne pas avoir recouvré sa nationalité népalaise après avoir renoncé à son passeport américain. Vendredi, Rabi Lamichhane a finalement été arrêté à Katmandou puis transféré à Pokhara, où il est depuis maintenu en détention.
Des accusations de détournement de fonds
Selon une source proche du dossier, l’ancien vice-Premier ministre est accusé par une commission parlementaire d’avoir détourné des millions de roupies de plusieurs coopératives financières lorsqu’il était à la tête du groupe de médias Gorkha Media Network, avant son entrée en politique. Des faits pour lesquels il doit désormais répondre de chefs d’accusation de fraude et de crime organisé.
Mais pour Rabi Lamichhane et ses soutiens, réunis au sein du PNI, il ne fait aucun doute que ces poursuites sont politiquement motivées et visent à mettre un terme à la progression de leur jeune parti, qui s’est fait une spécialité de dénoncer la corruption des élites. Toshima Karki, une responsable du PNI présente dans le cortège des manifestants, a ainsi fustigé “une vendetta politique visant à mettre fin à un nouveau parti qui œuvre pour le bien-être du peuple”.
Ils pensent qu’ils peuvent anéantir notre parti en s’attaquant à un individu, c’est faux. Nous manifestons pacifiquement et nous sommes bien décidés à lutter contre cette injustice.
Toshima Karki, membre du Parti national indépendant
Un pays habitué aux soubresauts politiques
Le Népal, petit pays himalayen enclavé entre l’Inde et la Chine, est coutumier des crises et retournements politiques. Depuis l’abolition de la monarchie et l’instauration d’une république fédérale en 2008, à l’issue d’une longue guerre civile, pas moins de 13 Premiers ministres se sont succédé, pour des mandats souvent éphémères. L’instabilité chronique et les luttes de pouvoir entre les nombreux partis compliquent la mise en place de réformes pourtant nécessaires dans ce pays parmi les plus pauvres d’Asie.
L’arrivée au pouvoir de Rabi Lamichhane et de son parti en novembre dernier, sur la promesse de rompre avec les pratiques de l’establishment, avait suscité un certain espoir de changement. Mais son arrestation et les accusations portées contre lui viennent rappeler la prégnance des enjeux politiques dans un système marqué par la défiance généralisée envers les responsables publics, régulièrement soupçonnés de corruption ou de favoritisme.
Alors que le procès de Rabi Lamichhane ne fait que commencer, les manifestations de soutien qui ont éclaté ce week-end laissent présager d’un climat politique tendu dans les prochaines semaines au Népal. Beaucoup voient dans cette affaire un test pour mesurer la volonté et la capacité réelle des institutions à s’attaquer aux pratiques douteuses qui minent la vie publique. Le feuilleton judiciaire et politique ne fait sans doute que débuter, mais il en dit déjà long sur les défis que doit relever la jeune démocratie népalaise pour restaurer la confiance de ses citoyens.