Au cœur de l’Inde, dans l’État reculé du Manipur, un conflit ethnique fait rage depuis plus d’un an et demi. Opposant les communautés Kuki et Meitei, il a plongé la région dans un cycle de violences qui menace de dégénérer en véritable guerre civile. Malgré les efforts des autorités pour rétablir l’ordre, la situation reste explosive.
Aux Origines du Conflit
Le Manipur, petit État du nord-est indien frontalier avec la Birmanie, abrite une mosaïque de minorités ethniques. Parmi elles, les Kuki, chrétiens et ruraux, représentent 16% de la population. Reconnus comme une « tribu » désavantagée, ils bénéficient de quotas pour l’emploi public et l’université.
Face à eux, la communauté Meitei, hindoue et urbaine, qui forme la moitié des habitants, exige de profiter des mêmes avantages. Dominant l’assemblée locale acquise au parti nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi, les Meitei s’opposent frontalement aux Kuki.
L’Étincelle des Tensions
En mai 2023, la décision d’un tribunal local d’accorder aux Meitei le statut de « tribu », leur ouvrant l’accès à des terres détenues par les Kuki, met le feu aux poudres. Bien que la Cour suprême annule ensuite ce jugement, il est trop tard. Des affrontements d’une extrême violence éclatent, faisant près de 200 morts et de nombreux blessés.
Pillant des postes de police, les deux communautés s’arment et se retranchent dans leurs fiefs respectifs, interdits à l’autre camp. Des dizaines de milliers de personnes fuient leur domicile. Un fragile retour au calme s’installe, mais les plaies restent à vif.
Escalade des Violences
Début novembre, les hostilités reprennent de plus belle avec une série d’attaques aux drones et aux roquettes, imputées par les autorités aux milices Kuki. Le bilan est lourd : au moins 11 morts. En représailles, un couvre-feu est décrété, internet coupé et les écoles fermées.
Mais la spirale de la violence est relancée. Mi-novembre, après la découverte du corps carbonisé d’une femme proche des Kuki, des miliciens de cette communauté prennent d’assaut un poste de police, faisant 10 morts dans leurs rangs et un blessé chez les forces de l’ordre. Quelques jours plus tard, 6 Meitei sont retrouvés morts, vraisemblablement victimes de représailles.
Des Autorités Dépassées
Face à cette situation explosive, les autorités semblent impuissantes. Le rétablissement du couvre-feu à Imphal, la capitale, et l’envoi de renforts paramilitaires n’y changent rien. Certains accusent même le gouvernement de Modi de jeter de l’huile sur le feu en attisant les tensions communautaires au profit de la majorité hindoue.
Seul un arrangement politique permettra de mettre fin aux violences.
The Hindu, grand quotidien indien
Le ministre de l’Intérieur Amit Shah a beau pointer du doigt des « militants » birmans infiltrés, une thèse rejetée par les Kuki comme de la « propagande », rien n’y fait. Signe d’un profond malaise, 7 députés locaux de son propre parti ont démissionné face à l’incapacité du gouvernement à ramener le calme.
Certains réclament désormais une mise sous tutelle directe de l’État par New Delhi, comme au Cachemire. Mais pour de nombreux observateurs, seul un règlement politique négocié pourra durablement apaiser les tensions. En attendant, le Manipur reste au bord de l’embrasement.