Niché à plus de 3 200 mètres d’altitude dans les montagnes de l’Altiplano bolivien, le quartier de Cristobal Quispe, 74 ans, offre un spectacle saisissant. Entre les maisons effondrées et celles qui menacent de s’écrouler à tout instant, la vie semble comme suspendue à un fil, à flanc de coteau. Une réalité précaire que partagent de nombreux habitants de La Paz, la capitale administrative de la Bolivie, où chaque saison des pluies fait renaître l’angoisse.
Des pluies diluviennes aux conséquences dramatiques
En 2011, des précipitations exceptionnelles ont provoqué la disparition d’au moins 400 habitations dans le quartier de Cristobal Quispe. Un drame qui a marqué les esprits, mais qui n’a pas empêché le petit commerçant de reconstruire sa maison au même endroit. « Cela pourrait se reproduire. Cet endroit n’est plus très sûr », admet-il, conscient de vivre dans une zone classée à risque par la municipalité. Pourtant, malgré la menace, lui et sa famille font le choix de rester.
Car à La Paz, 18,4% des immeubles enregistrés sont situés dans des zones à risque « élevé » ou « très élevé » selon les chiffres de la mairie. Et 44,2% occupent des zones à « risque modéré ». Une situation inquiétante, amplifiée par la topographie singulière de la ville, enclavée entre les montagnes et traversée par plus de 300 cours d’eau.
Le lourd tribut des catastrophes naturelles en Amérique latine
Malheureusement, le cas de La Paz est loin d’être isolé sur le continent. Selon les données de l’Université catholique de Louvain, au cours des dix dernières années, 13 878 personnes sont mortes à la suite de catastrophes naturelles en Amérique latine et dans les Caraïbes. Une région particulièrement vulnérable au changement climatique, comme le souligne l’architecte et chercheur Ramiro Rojas :
Les vulnérabilités sont amplifiées par des facteurs socio-économiques comme les inégalités, la pauvreté élevée et le développement des villes sans grande planification.
– Ramiro Rojas, architecte et chercheur
Des métropoles emblématiques comme Rio de Janeiro avec ses favelas perchées, ou Buenos Aires et ses quartiers inondables, illustrent cette fragilité urbaine face aux aléas climatiques. Car historiquement, la construction des villes latino-américaines s’est faite sans jamais intégrer ces enjeux, déplore Fernando Viviescas, urbaniste et professeur à l’Université nationale de Colombie.
La difficile équation du logement à La Paz
À La Paz, la problématique du logement reste entière et pousse les habitants à s’installer où ils le peuvent, souvent dans des zones à risque comme les berges de rivières ou les flancs de montagne. Face à la pénurie, beaucoup construisent sans autorisation préalable, un feu vert qui finit généralement par arriver a posteriori.
Ainsi, entre mai 2021 et juin 2024, trois constructions sur quatre approuvées par les autorités correspondaient à des logements bâtis sans permis initial. Un chiffre révélateur des difficultés de la planification urbaine, soumise à la pression démographique et à l’urgence sociale.
Ils nous ont donné carte blanche pour construire, mais à tout moment la rivière peut passer ici, on ne peut pas la dévier. Aujourd’hui ça va, demain ce sera peut-être détruit.
– Lucas Morales, habitant des rives de l’Irpavi
Un constat amer partagé par de nombreux habitants, conscients de la précarité de leur situation mais contraints de composer avec elle, faute d’alternatives. Car dans une ville en proie à de fortes inégalités et où la pauvreté reste élevée, l’accès à un logement sûr et abordable demeure un défi majeur.
Quand la résilience côtoie la résignation
Malgré les drames et les pertes, beaucoup font le choix de rester, par attachement ou par nécessité. À l’image de Cristina Quispe, qui tient toujours sa petite épicerie dans un quartier déserté par ses voisins suite à une coulée de boue. « Je n’ai pas peur. Je suis calme », assure-t-elle, avant d’ajouter, fataliste : « Il n’y a nulle part où aller ».
Une résilience forcée qui en dit long sur le défi immense que représente l’adaptation des villes comme La Paz au changement climatique. Car au-delà de la gestion des risques et de la planification urbaine, c’est tout un modèle de développement qui est à repenser, pour offrir aux populations les plus vulnérables un cadre de vie digne et sûr. Un enjeu crucial pour l’avenir de la capitale bolivienne et de tant d’autres métropoles d’Amérique latine, où les vies restent suspendues aux aléas du climat et aux inégalités sociales.