Imaginez un pays où un seul parti rafle près de 80 % des sièges au Parlement lors d’élections législatives. Cela vient de se produire en Côte d’Ivoire, quelques semaines seulement après la réélection triomphale du président sortant. Cette domination sans partage soulève des questions profondes sur l’état de la démocratie et l’avenir politique d’une nation en pleine transformation économique.
Une majorité renforcée pour le RHDP
Les résultats officiels sont tombés il y a peu. Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix, le parti au pouvoir, a obtenu 197 sièges sur les 255 que compte l’Assemblée nationale. Cela représente une progression notable par rapport à la législature précédente, où il détenait déjà une confortable avance.
Cette victoire traduit une consolidation impressionnante du pouvoir en place. Le président Alassane Ouattara, qui entame son quatrième mandat après avoir été réélu avec un score écrasant, dispose désormais d’une mainmise totale sur les institutions. Son parti domine non seulement l’Assemblée, mais aussi le Sénat et la grande majorité des collectivités locales.
Dans plusieurs régions, les scores atteignent des niveaux exceptionnels, parfois proches de 100 %. Le nord du pays, fief historique du président, a massivement voté en faveur du RHDP. Mais la progression la plus remarquable concerne les zones du sud et de l’ouest, traditionnellement plus réservées, où le parti a su élargir son influence.
Une participation en net recul
Derrière ces chiffres triomphaux se cache cependant une réalité préoccupante : l’abstention. Seulement 35 % des électeurs inscrits se sont déplacés aux urnes. Ce taux marque une baisse par rapport aux précédentes législatives et prolonge la tendance observée lors du scrutin présidentiel, où la moitié des électeurs avait déjà choisi de rester chez eux.
Cette faible mobilisation reflète un désintérêt croissant pour le processus électoral. Certains y voient le signe d’une démotivation liée à la prévisibilité du résultat, d’autres pointent du doigt le boycott prôné par une partie de l’opposition. Quoi qu’il en soit, cette abstention massive interroge sur la légitimité populaire du nouveau Parlement.
La Commission électorale indépendante a toutefois jugé le scrutin conforme aux règles en vigueur. Quelques incidents isolés ont été signalés, mais ils n’auraient pas altéré la sincérité globale du vote, selon les autorités.
L’opposition sort affaiblie du scrutin
Du côté des forces d’opposition, le tableau est sombre. La principale formation concurrente, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, voit son nombre de députés divisé par deux. Elle conserve une présence notable dans la capitale économique et dans certaines localités du centre, mais le revers est sévère.
Son leader, actuellement à l’étranger depuis plusieurs mois, pourrait voir sa position contestée au sein du parti après cet échec cuisant. L’heure est à la reconstruction pour cette formation historique qui peine à retrouver son lustre d’antan.
L’autre grand mouvement d’opposition a quant à lui choisi la stratégie du boycott actif. En refusant de présenter des candidats, il perd automatiquement la totalité de ses sièges précédents. Son fondateur, ancien président de la République, avait récemment annoncé son retrait progressif de la direction du parti, signant peut-être la fin d’une ère.
Quelques élus indépendants complètent le paysage parlementaire. Beaucoup d’entre eux sont toutefois issus de dissidences internes au parti majoritaire et pourraient, dans la pratique, soutenir les initiatives du pouvoir.
Les figures clés confortablement réélues
Les personnalités influentes du RHDP ont toutes remporté leur circonscription avec des scores impressionnants. Le vice-président de la République, dauphin constitutionnel, a été plébiscité à près de 100 % dans sa région. Le frère du président, ministre de la Défense, a largement dominé dans une commune populaire de la capitale.
Le Premier ministre sortant a également obtenu un résultat écrasant dans le sud du pays. Quant au président de l’Assemblée nationale précédente, il a réussi l’exploit de s’imposer dans un ancien bastion de l’opposition à Abidjan, avec plus des deux tiers des voix.
D’autres ministres importants se distinguent par leurs victoires nettes dans des villes majeures du centre. Ces succès individuels renforcent la cohésion apparente au sein de l’appareil dirigeant et écartent, pour l’instant, toute idée de remaniement profond.
« La Côte d’Ivoire avance avec stabilité et dynamisme économique dans une région souvent instable. »
– Un argument souvent avancé par les soutiens du pouvoir
Les arguments des deux camps
Les partisans du pouvoir mettent en avant les progrès économiques du pays. Premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire affiche une croissance régulière et une relative stabilité dans un environnement régional marqué par les coups d’État et les menaces sécuritaires.
Ils présentent ces résultats comme la récompense d’une gestion pragmatique et d’une vision de développement portée depuis plus d’une décennie. La couleur orange, symbole du parti, domine désormais largement le paysage politique national.
À l’opposé, les voix critiques dénoncent une concentration excessive du pouvoir. Elles pointent les obstacles rencontrés par certains leaders d’opposition pour participer aux scrutins et évoquent des irrégularités lors du vote. Pour elles, cette hégémonie risque d’étouffer le débat démocratique et de limiter les libertés.
Le débat entre stabilité économique et pluralisme politique anime depuis longtemps la scène ivoirienne. Ces législatives semblent avoir, pour l’instant, tranché en faveur de la première option.
La question brûlante de la succession
À 84 ans bientôt, le président Ouattara a promis une « transmission générationnelle » lors de ce mandat qu’il présente comme le dernier. La question de son successeur devient donc centrale et devrait occuper les débats dans les années à venir.
Les excellents scores des principales figures du parti lors de ces législatives compliquent l’équation. Chacun des poids lourds réélus peut légitimement prétendre à une position privilégiée dans la course à la succession. Leurs victoires personnelles renforcent leur légitimité interne.
Le vice-président, le Premier ministre, le président de l’Assemblée, le ministre de la Défense : tous disposent désormais d’une base électorale solide. Les prochains mois diront si l’un d’eux émerge clairement ou si le président choisit une personnalité moins en vue pour assurer la continuité.
Cette incertitude, dans un contexte de domination absolue, pourrait paradoxalement créer des tensions internes au sein du camp majoritaire. La gestion de cette transition sera scrutée de près, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Perspectives pour l’opposition
Pour les forces d’opposition, l’heure est à l’introspection. Le principal parti concurrent doit digérer une défaite lourde et réfléchir à sa stratégie future. La question du leadership pourrait se poser avec acuité après cet échec.
Quant au mouvement ayant choisi le boycott, son influence parlementaire s’efface complètement. Son fondateur s’éloigne progressivement de la direction, laissant un vide que ses successeurs devront combler pour espérer un retour sur la scène nationale.
La reconstruction passera probablement par une unité retrouvée et une capacité à mobiliser au-delà des bases traditionnelles. Dans un paysage politique aussi déséquilibré, l’opposition ivoirienne aura besoin de créativité et de patience pour espérer inverser la tendance lors des prochains rendez-vous électoraux.
Ces législatives marquent un tournant dans l’histoire politique récente de la Côte d’Ivoire. Elles consacrent la suprématie d’un parti et d’un leader qui dominent la scène depuis plus de dix ans. Mais elles posent aussi, en filigrane, les questions essentielles de l’alternance, du renouvellement et de la vitalité démocratique.
Dans les années à venir, le pays devra concilier son ambition de puissance économique régionale avec la nécessité d’un débat politique pluraliste. La manière dont ces défis seront relevés déterminera en grande partie l’avenir de la nation ivoirienne.
Pour l’instant, le pouvoir célèbre une victoire nette. Mais dans toute démocratie, même imparfaite, les cycles politiques finissent toujours par évoluer. La Côte d’Ivoire n’échappera probablement pas à cette règle, même si le calendrier reste incertain.
Le vrai défi n’est pas seulement de gagner des élections, mais de préserver l’équilibre nécessaire à une nation apaisée et prospère.
Les prochains mois apporteront sans doute des éléments de réponse. En attendant, le Parlement nouvellement élu s’apprête à siéger dans un contexte de majorité absolue, avec tous les avantages et les responsabilités que cela implique.
La Côte d’Ivoire continue son chemin, entre fierté des accomplissements économiques et interrogations sur son modèle politique. Un chemin que le monde observe avec attention, tant ce pays joue un rôle clé dans la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest.









