C’est le dénouement d’une sombre affaire qui avait secoué le village de Verzeille, près de Carcassonne, et fait l’objet d’une large couverture médiatique. Près d’un an après le lynchage collectif ultra-violent dont ont été victimes un Guadeloupéen et un Mahorais lors de la fête du village le 24 juillet 2022, le tribunal correctionnel de Carcassonne a rendu son jugement ce mercredi 13 novembre. Verdict : les trois prévenus ont été reconnus coupables de “violences en réunion” et condamnés à des peines de prison avec sursis. En revanche, le caractère raciste de l’agression, pourtant souligné par une vidéo glaçante et les accusations du site Mediapart, n’a pas été retenu.
Un lynchage d’une violence inouïe filmé et diffusé
Les faits remontent à la nuit du 24 au 25 juillet 2022. Alors que la fête bat son plein à Verzeille, un homme originaire de Guadeloupe et un autre de Mayotte sont violemment pris à partie par plusieurs individus qui les soupçonnent d’être les auteurs de mystérieuses piqûres survenues durant la soirée. La scène, d’une brutalité rare, est intégralement filmée par l’un des agresseurs. On y voit les deux victimes être rouées de coups par une quinzaine de personnes, certaines d’entre elles lançant des appels au meurtre : “Tuez-les ! Baisez-les !”. Des images insoutenables qui seront récupérées et diffusées quelques mois plus tard par le site d’investigation Mediapart, déclenchant une vague d’indignation dans l’opinion publique.
L’omerta et le déni s’installent dans le village
Après ce déchaînement de violence, les langues peinent à se délier à Verzeille. La presse locale évoque l’affaire et son caractère possiblement raciste, mais se heurte au mutisme de la population et des autorités municipales. D’après les informations recueillies par Mediapart, le maire refuse de recevoir les familles des victimes malgré leurs demandes répétées. Quant au deuxième adjoint au maire, identifié parmi les agresseurs, il reconnaît les violences auprès de la gendarmerie mais en nie la dimension raciste.
Le village niait le caractère raciste de l’agression.
David Perrotin, journaliste à Mediapart
Trois mises en examen, mais pas pour “violences racistes”
Sur la base des plaintes déposées par les deux victimes, et malgré les réticences initiales du parquet, trois personnes dont l’adjoint au maire sont finalement mises en examen pour “violences en réunion”. Mais les éléments recueillis sont jugés insuffisants pour caractériser des violences à caractère raciste.
Une décision contestée par les parties civiles qui estiment que “l’on n’a pas cherché à prouver l’existence” du mobile raciste et dénoncent une tentative d’étouffer l’affaire. Elles attendent donc avec impatience le procès prévu le 2 juin 2023 à Carcassonne pour que toute la lumière soit faite.
Le maire sort du silence et dénonce une “instrumentalisation”
Mis sous pression, le maire de Verzeille Christian Audier finit par sortir de son mutisme fin février 2023 devant les caméras de France 3. Tout en condamnant la violence de l’agression, il se dit soucieux de défendre la “réputation” de sa commune, victime selon lui d’une “instrumentalisation” de la part de Mediapart :
On n’est pas mis en cause, mais si on intervient maintenant, c’est à cause de toutes ces accusations racistes.
Christian Audier, maire (DVG) de Verzeille
L’avocat de la commune renchérit en pointant la “dimension politique” de l’affaire et en laissant au tribunal le soin de déterminer si “la dimension raciste existe ou pas”. Quant au maintien de l’adjoint mis en cause au sein du conseil municipal, le maire le justifie ainsi : “Il se tient en retrait. Il sait qu’il a fait une bêtise en se bagarrant, mais moi je n’ai aucun pouvoir pour dégager un élu”. Une position jugée pour le moins complaisante par les associations antiracistes.
Des peines “trop clémentes” pour un procès “décevant”
Ce sont donc dans ce contexte tendu et sur fond de vives polémiques que s’est tenu le procès du “lynchage de Verzeille” le 2 juin dernier à Carcassonne. Un procès “décevant” aux dires des parties civiles, puisque comme redouté, le caractère raciste de l’agression n’a à aucun moment été évoqué durant les débats.
Les trois prévenus, dont l’adjoint au maire, ont finalement été condamnés à des peines de 12 à 15 mois de prison avec sursis. Des sanctions jugées bien trop clémentes par les familles des victimes et les associations de lutte contre le racisme, qui y voient la énième manifestation d’une justice “à deux vitesses” et d’un “déni de réalité” face au racisme.
Au final, si le tribunal a reconnu la “violence” et la “lâcheté” des agresseurs, il a totalement écarté la question du mobile raciste pourtant documentée par des preuves accablantes. Une occasion manquée de nommer le mal et d’envoyer un signal fort. Pour les victimes et leurs proches, le combat pour la reconnaissance du caractère raciste de ce lynchage continue. Mais le goût amer d’un déni de justice risque de perdurer encore longtemps.