Il est des images qui heurtent plus que d’autres. Au cœur de la nuit, sous les guirlandes encore allumées du marché de Noël d’Amiens, quelqu’un a fracassé la vitrine en plexiglas d’une crèche installée depuis trente ans. Les santons gisent au sol, certains sans tête, et l’Enfant Jésus porte des marques irréversibles. Un acte gratuit ? Un message ? Ou la simple explosion de rage d’un individu perdu ?
Un symbole de Noël profané en quelques minutes
Chaque année, dès la fin novembre, le comité de quartier Centre-ville monte avec soin cette crèche dans un petit chalet en bois. Les personnages en terre cuite, peints à la main, racontent une histoire que des générations d’Amiénois ont contemplée avec tendresse. C’est plus qu’une décoration : c’est un repère dans le paysage hivernal de la ville.
Cette année, dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 novembre 2025, tout a basculé. Un homme seul s’est acharné sur la protection en plexiglas jusqu’à la faire voler en éclats. Il a ensuite arraché les figurines, les a jetées violemment au sol. Plusieurs têtes ont roulé sur les pavés. L’Enfant Jésus, pièce centrale, a été particulièrement visé : son visage est abîmé, une partie du corps fendu. Il faudra le recoller, si c’est encore possible.
« C’était violent, presque méthodique », confie Élisabeth de Winter, présidente du comité de quartier, la voix encore tremblante. « On a l’impression qu’il voulait détruire, pas voler. Rien n’a disparu, même pas les petites pièces dans la mangeoire. »
La mairie condamne, mais minimise déjà
Dès le petit matin, le maire Hubert de Jenlis s’est rendu sur place. Il a immédiatement condamné l’acte, tout en avançant une première explication : « Il s’agit très probablement d’un marginal dont la motivation principale était le vol des objets de la crèche. »
Cette version officielle laisse pourtant songeur. Aucun objet n’a été emporté. Les dégâts sont concentrés sur les visages et les têtes, comme si le vandale avait voulu décapiter symboliquement la scène de la Nativité. Difficile de ne pas y voir une forme de haine ciblée, même si personne n’ose encore le dire ouvertement.
La municipalité insiste sur le renforcement de la surveillance : sociétés privées, rondes de police municipale, caméras de vidéoprotection. Des images existent. Elles ont été transmises à la justice. L’auteur sera-t-il identifié rapidement ? Rien n’est moins sûr.
Un phénomène qui n’est hélas pas isolé
Ces dernières années, les crèches de Noël font régulièrement l’objet d’attaques dans plusieurs villes françaises. Parfois c’est une question juridique – des associations laïques exigent leur retrait des espaces publics. Parfois c’est plus brutal : vols, incendies, profanations.
À Strasbourg, en 2022, une crèche vivante avait été interrompue par des militants. À Béziers, Robert Ménard avait dû protéger la sienne derrière des barrières métalliques. À Paris, celle de la paroisse Saint-Sulpice avait été taguée de slogans antireligieux. La liste est longue, et chaque fois la même question revient : pourquoi tant de violence contre un symbole aussi pacifique ?
« On touche là à quelque chose de profond. La crèche, c’est l’enfance, la paix, la lumière dans l’hiver. L’abîmer, c’est vouloir éteindre cette lumière. »
Une habitante d’Amiens, venue constater les dégâts
Entre colère et résignation : la réaction des Amiénois
Sur les réseaux sociaux locaux, la nouvelle a fait l’effet d’un choc. Beaucoup parlent d’un « acte antireligieux assumé ». D’autres y voient la preuve que « plus rien n’est respecté ». Quelques voix, plus rares, relativisent : « C’est un fou, pas la peine d’en faire tout un plat. »
Dans la rue, l’ambiance est lourde. Les chalets du marché de Noël, d’habitude joyeux, semblent soudain plus vulnérables. Des parents hésitent à emmener leurs enfants voir le Père Noël à côté. « On se dit que si même une crèche n’est plus en sécurité… » souffle une mère de famille.
Le comité de quartier, lui, ne baisse pas les bras. Les santons seront réparés, certains remplacés. La crèche sera remontée d’ici quelques jours. « On ne laissera pas une personne détruire trente ans de tradition », assure Élisabeth de Winter. Une cagnotte en ligne a déjà été lancée pour financer les réparations.
Derrière l’acte, quelles failles de notre société ?
Si l’auteur est bien un « marginal », comme le dit la mairie, cela pose une autre question : comment une personne en grande détresse peut-elle en arriver à s’en prendre à un symbole aussi universellement associé à la paix ? La souffrance psychique, l’alcool, la drogue, l’exclusion… tout cela forme un cocktail explosif que nos villes peinent à juguler.
Mais certains refusent cette explication unique. Pour eux, détruire une crèche en ciblant l’Enfant Jésus dépasse la simple folie passagère. C’est un geste qui parle à l’inconscient collectif. Un geste qui dit : « Votre monde, vos valeurs, je les rejette. »
Et si, au fond, ce vandale n’était que le symptôme visible d’une fracture plus profonde ? Une société où le sacré n’a plus de place pour certains, où la tradition est vue comme ringarde ou oppressive, où la violence devient la seule langue comprise par ceux que l’on a laissés au bord du chemin.
Et maintenant ?
La crèche sera réparée. Le marché de Noël continuera. Les Amiénois reviendront, peut-être un peu plus méfiants, un peu plus tristes. Mais ils reviendront.
Parce qu’abandonner, ce serait donner raison à celui qui a brisé le plexiglas cette nuit-là. Ce serait accepter que la haine l’emporte sur la lumière.
Alors oui, on recollera la tête du Petit Jésus. On redressera les santons. On rallumera les guirlandes. Et on continuera à croire qu’un enfant né dans une étable, il y a deux mille ans, mérite encore qu’on lui fasse une place, même petite, même fragile, au milieu de nos hivers.
Parce que si on laisse éteindre ça, qu’est-ce qu’il nous restera ?









