Le Kenya traverse une période troublée, marquée par une vague d’enlèvements ciblant de jeunes critiques du pouvoir. Un phénomène si préoccupant que même des proches de hauts responsables en ont été victimes. C’est ce qu’a révélé dimanche Justin Muturi, ex-Procureur général de la République du Kenya, indiquant que son propre fils avait été brièvement enlevé.
Selon une source proche du dossier, ces mystérieuses disparitions ont débuté en juin dernier, en marge d’un mouvement de protestation lancé par la « génération Z », ces jeunes Kényans nés après 1997. Depuis, la Commission nationale des droits humains (KNCHR) a recensé pas moins de 82 cas d’enlèvements, dont des dizaines de personnes toujours portées disparues à ce jour.
Un ex-ministre touché de près
Mais l’affaire prend une tournure particulièrement troublante avec les révélations de Justin Muturi. Alors Procureur général jusqu’en juillet 2024, il raconte comment son fils Leslie a été kidnappé en juin dernier, jeté dans une voiture par des « gangsters armés et cagoulés » en plein centre de Nairobi. « Je ne savais pas s’il était vivant ou mort », confie-t-il, ému.
Malgré son statut de membre du Conseil national de sécurité, M. Muturi assure n’avoir obtenu aucune explication des autorités sur le sort de son fils. Ce n’est que le lendemain que le jeune homme a été libéré par des « forces inconnues ». Un événement qui a précédé de peu le limogeage de Justin Muturi de son poste de Procureur général, après les manifestations antigouvernementales de l’été 2024.
La police nie, les soupçons demeurent
Face à l’indignation suscitée par cette vague d’enlèvements, qui aurait fait plus de 60 morts selon des ONG, la police kényane a plusieurs fois nié l’implication de ses agents. Pourtant, beaucoup s’interrogent sur l’absence apparente d’enquête visant des fonctionnaires de police.
Des soupçons alimentés par certains groupes de défense des droits humains, qui pointent du doigt une unité secrète issue des services de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Une accusation grave, qui jette une ombre inquiétante sur le respect des droits et libertés au Kenya.
Le mystère des disparus de Noël
L’affaire a pris une ampleur nationale avec la disparition d’au moins 6 jeunes hommes durant les fêtes de Noël. Si 5 d’entre eux sont réapparus début janvier, de troublantes interrogations subsistent. Qui se cache derrière leur enlèvement ? Où ont-ils été détenus pendant des semaines ? Autant de questions laissées sans réponse pour l’heure.
Ces disparitions en série sont symptomatiques d’un climat politique de plus en plus tendu au Kenya. Alors que la contestation gronde, notamment chez les jeunes générations, le pouvoir semble déterminé à faire taire les voix critiques, quitte à franchir des lignes rouges. Une dérive autoritaire qui suscite l’inquiétude dans ce pays d’Afrique de l’Est, longtemps considéré comme un îlot de stabilité dans une région troublée.
Le témoignage de Justin Muturi, figure respectée de la politique kényane, ne fait qu’ajouter à la gravité de la situation. Si même le fils d’un ex-Procureur général peut être enlevé sans explication, qu’en est-il pour le citoyen ordinaire ? C’est tout l’État de droit qui vacille face à ces disparitions extrajudiciaires, qui rappellent les heures les plus sombres des dictatures.
Il est plus que temps pour les autorités kényanes de faire toute la lumière sur ces enlèvements à répétition. Faute de quoi, c’est la confiance même des citoyens envers leurs institutions qui risque d’être durablement ébranlée. Le Kenya est à la croisée des chemins : celui de l’arbitraire et de la peur, ou celui de la transparence et du respect des droits humains les plus fondamentaux.