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Uvira Sous Contrôle du M23 : L’Angoisse d’une Ville Piégée

À Uvira, les habitants n’osent plus sortir. Des corps jonchent encore les rues, l’électricité est coupée, les menaces pleuvent sur les téléphones. Le M23 contrôle la ville… mais à quel prix pour ceux qui n’ont pas fui ? La suite est terrifiante.

Imaginez-vous réveillé par des tirs nourris à quelques rues de chez vous. Le téléphone vibre : un message anonyme vous menace de mort si vous ne quittez pas la ville immédiatement. Dehors, plus un commerce ouvert, plus d’électricité, et des corps qui commencent à se décomposer sous le soleil des tropiques. C’est la réalité qu’affrontent, en ce moment même, des centaines de milliers d’habitants d’Uvira, dans l’est de la République démocratique du Congo.

Uvira tombe aux mains du M23 : une ville entière sous le choc

Mercredi, la nouvelle est tombée comme un couperet : les rebelles du M23, soutenus par l’armée rwandaise, ont pris le contrôle total de la cité lacustre. Mairie, siège du gouvernorat, poste-frontière avec le Burundi… tous les points stratégiques sont désormais entre leurs mains. Les forces gouvernementales et leurs alliés miliciens, appelés localement wazalendo, ont fui en désordre ces derniers jours.

Dans les rues, le silence est lourd, seulement troublé par quelques crépitements sporadiques. « Ça tire encore par moments. On a peur, hier il y a eu des morts », confie François, un habitant joint par téléphone. Il n’est pas le seul à trembler.

Des cadavres abandonnés dans les quartiers

Entre mercredi et jeudi, les témoins ont compté une dizaine de corps ramassés dans les artères principales. Certains parlent de quinze cadavres rien qu’autour du rond-point Kavimvira. « Ils commencent à gonfler, l’odeur est insupportable », raconte Nyembo, qui habite le quartier.

Personne n’ose encore les enterrer. Les familles ont fui ou se terrent chez elles. Les combattants du M23 ratissent maison par maison à la recherche de miliciens pro-gouvernementaux cachés parmi la population.

« Hier on a ramassé au moins neuf corps et aujourd’hui deux autres sur l’avenue de la cathédrale »

Un représentant de la société civile à Uvira

Une population coupée du monde

Jeudi, quasiment toute la ville était plongée dans le noir. Les coupures d’électricité touchent tous les quartiers. Seuls ceux qui avaient anticipé en chargeant leur téléphone portable peuvent encore donner des nouvelles. Les autres sont dans l’obscurité totale, littéralement et figurativement.

Les boutiques restent fermées depuis plusieurs jours. Quelques motos circulent timidement, mais la majorité des habitants reste cloîtrée. Les centres de santé et les pharmacies ont baissé le rideau. En cas de blessure ou de maladie, il n’y a plus aucune solution.

Sur le lac Tanganyika, plus une pirogue motorisée. Le Burundi a fermé sa frontière. La dernière embarcation a quitté Uvira mercredi. Pour ceux qui espéraient encore fuir par l’eau, c’est fini.

La peur viscérale des représailles

Ceux qui n’ont pas les moyens de partir vivent dans l’angoisse permanente. « Avant-hier et hier, j’avais très peur qu’ils considèrent tout le monde comme wazalendo et qu’ils tuent sans distinction », explique Fidèle, habitant du quartier Mulongwe.

Il ajoute, fataliste : « On n’a pas le choix, on est obligés de vivre avec. C’est chez nous ici. Je n’ai pas l’intention de fuir. » Beaucoup partagent ce sentiment : partir coûte cher, et où aller ?

Mais certains sont particulièrement visés. Fonctionnaires, membres de la société civile, défenseurs des droits humains reçoivent des messages de menaces directes. Comme à chaque avancée du M23, les intimidations pleuvent sur WhatsApp et SMS.

« Le M23 est le premier auteur des violations du droit international humanitaire ces derniers mois en RDC »

Rapport d’experts de l’ONU

Une offensive préparée de longue date

L’opération sur Uvira n’a rien d’improvisé. Pendant plusieurs mois, le M23 a grignoté du terrain dans les hauts plateaux dominant la plaine de Ruzizi. Objectif : prendre à revers les forces congolaises et burundaises, exactement comme lors de la prise de Goma en janvier dernier.

Face à une armée congolaise rongée par la corruption et le manque de moyens, les rebelles et leurs alliés rwandais ont déployé un arsenal impressionnant : drones, mortiers à guidage GPS, lance-roquettes multiples. Les défenseurs n’ont pas tenu.

Lorsque les premiers obus sont tombés des hauteurs surplombant la ville, coincée entre montagnes et lac, le dispositif s’est effondré. Ce fut la débandade. « C’était le sauve-qui-peut, les militaires tiraient en l’air, il y a eu quelques pillages », témoigne un responsable religieux.

Plus de 200 000 déplacés en quelques jours

Selon l’ONU, les combats ont déjà provoqué le déplacement de plus de 200 000 personnes, très majoritairement des civils. Des familles entières ont tout abandonné pour tenter de rejoindre Bukavu au nord ou Kalémie plus au sud.

D’autres ont franchi la frontière burundaise avant sa fermeture. Mais des milliers restent coincés, sans ressource, sans abri, sans savoir de quoi demain sera fait.

Les soldats burundais pris au piège

Environ 18 000 soldats burundais étaient déployés dans le Sud-Kivu dans le cadre de la force régionale est-africaine. Une partie a déjà regagné Bujumbura. Mais plusieurs milliers seraient encore bloqués dans les collines autour d’Uvira et dans la plaine de Ruzizi.

Certains parlent de 2 500 hommes encerclés dans les hauteurs, 5 000 autres en repli vers le sud. Leur sort reste incertain.

Un coup diplomatique contre Kinshasa

Au-delà du terrain militaire, la prise d’Uvira porte un coup sévère à Kinshasa. En contrôlant le poste-frontière avec le Burundi, le M23 prive le gouvernement congolais d’un appui militaire crucial. Bujumbura, qui avait déployé des troupes contre les rebelles, se retrouve mis sur la touche.

Le timing est particulièrement cynique : l’offensive a été lancée début décembre, juste avant la signature d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda, sous médiation américaine. La diplomatie burundaise a qualifié cette avancée de « gifle » aux États-Unis.

Et maintenant ?

Dans Uvira, la grande question reste en suspens : que va faire le M23 de cette ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants ? Va-t-il instaurer une administration parallèle comme à Goma et Rutshuru ? Va-t-il traquer systématiquement tous ceux perçus comme hostiles ?

Les habitants retiennent leur souffle. Chaque bruit de moteur, chaque coup de feu fait sursauter. Les messages de menace continuent d’arriver. L’électricité reste coupée. Les corps sont toujours là.

Pour l’instant, Uvira est une ville morte qui attend, terrifiée, de connaître son sort entre les mains de ceux qui l’ont conquise en quelques jours. Et pendant ce temps, le monde regarde ailleurs.

En ce moment même, des familles entières se terrent dans leurs maisons sans eau, sans électricité, sans savoir si elles seront les prochaines sur la liste. La prise d’Uvira n’est pas qu’un événement militaire de plus dans l’est du Congo. C’est un drame humain qui se joue sous nos yeux, et dont les conséquences risquent de marquer des générations entières.

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