Imaginez une ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants qui se vide en quelques heures. Des familles entières qui abandonnent tout, des soldats qui jettent leurs armes, des policiers qui fuient en civil. C’est la réalité terrifiante qui frappe Uvira, dans l’est de la République démocratique du Congo, en ce début décembre. Une menace pèse plus que jamais sur cette cité stratégique, coincée entre les montagnes et le lac Tanganyika.
Uvira au bord du gouffre : la nouvelle offensive du M23
Depuis le 1er décembre, le groupe armé M23, soutenu par des unités de l’armée rwandaise, a repris son avancée fulgurante dans le Sud-Kivu. Parti de Kamanyola, déjà sous son contrôle, le mouvement a franchi des dizaines de kilomètres en quelques jours seulement. Mardi soir, les combattants se trouvaient à une quinzaine de kilomètres au nord de la ville, contre trente la veille.
Cette progression éclair rappelle les prises de Goma en janvier et de Bukavu en février. Après une relative accalmie depuis mars, le front explose à nouveau. Et cette fois, c’est Uvira qui est dans le viseur.
Une ville qui se vide avant même l’arrivée des combats
Avant même que les premiers obus ne tombent sur les faubourgs, la panique a gagné les rues. Habitants, fonctionnaires, policiers et militaires congolais fuient par tous les moyens. Certains réquisitionnent des véhicules civils, d’autres marchent à pied vers le sud, beaucoup tentent de traverser le lac Tanganyika en bateau.
Au port, la cohue est indescriptible. Des tirs désordonnés retentissent. Des soldats abandonnent uniformes et armes pour se fondre dans la foule. Des scènes de pillage sont signalées : magasins dévalisés, téléphones arrachés des mains des passants.
« C’est le sauve-qui-peut total »
Un habitant joint par téléphone
Un autre témoigne, la voix tremblante : « Nous sommes tous sous les lits à Uvira, c’est ça la réalité ».
Plus de 30 000 réfugiés au Burundi en une semaine
La frontière avec le Burundi, toute proche, est prise d’assaut. En une semaine seulement, plus de 30 000 Congolais ont fui vers le pays voisin. Les autorités burundaises et les agences onusiennes sont débordées.
Les nouveaux arrivants manquent de tout : nourriture, eau potable, soins médicaux, abris. Un responsable administratif local alerte : « On n’a pas de quoi les nourrir ni les soigner ».
Des centaines de militaires congolais et même burundais ont également traversé la frontière pour se mettre à l’abri, signe inquiétant de la désorganisation des forces en présence.
Une armée congolaise en pleine débandade
Les images qui filtrent sont accablantes. Des colonnes de soldats en déroute, certains en tenue, d’autres en civil, fuient vers le sud. Des véhicules militaires abandonnés, des armes jetées sur le bord des routes.
Un officier burundais, contacté depuis la frontière, résume la situation en un mot : « chaotique ». Il ajoute, désabusé : « Il n’y a plus de commandement. Uvira, c’est fini ».
Mal équipée, mal payée, mal commandée : l’armée congolaise semble une nouvelle fois incapable de résister à un adversaire mieux organisé et technologiquement supérieur.
Le rôle controversé des troupes burundaises
Depuis 2023, le Burundi a déployé des milliers de soldats dans l’est congolais, officiellement pour combattre différents groupes armés. Leur nombre a même doublé, passant à environ 18 000 hommes selon certaines sources.
Mais face à l’offensive du M23, ces unités n’ont pas réussi à endiguer la progression. Pire, certains soldats burundais ont eux aussi franchi la frontière pour se réfugier chez eux.
Uvira représente pourtant un enjeu majeur pour Bujumbura. La ville fait face à la capitale économique burundaise de l’autre côté du lac. Sa chute couperait totalement le Burundi de la RDC par voie terrestre.
Un accord de paix déjà caduc ?
Jeudi dernier, un accord qualifié de « miracle » par le président américain était signé à Washington entre Kinshasa et Kigali. Objectif : ramener la paix dans l’est congolais.
En échange, l’industrie américaine devait bénéficier d’un accès privilégié aux minerais stratégiques de la région – cobalt, coltan, lithium – indispensables aux technologies de pointe.
Moins d’une semaine plus tard, cette nouvelle offensive sonne comme un désaveu cinglant. Les combats reprennent de plus belle, les populations fuient, et la perspective d’une paix durable s’éloigne à nouveau.
Pourquoi Uvira est-elle si stratégique ?
Uvira n’est pas une ville comme les autres. Dernière grande agglomération du Sud-Kivu encore sous contrôle gouvernemental, elle constitue un verrou stratégique.
Sa position géographique est unique : enclavée entre les montagnes et le lac Tanganyika, elle contrôle les axes nord-sud et les liaisons avec le Burundi. Sa perte signerait la domination quasi-totale du M23 sur les deux Kivu.
Depuis près d’un an, le mouvement contrôle déjà Goma et Bukavu, les deux capitales provinciales. Prendre Uvira lui donnerait la maîtrise complète de cette région riche en ressources minières et agricoles.
Vers une guerre régionale ?
Le président burundais avait été parmi les premiers à alerter sur le risque d’embrasement régional. L’ONU partageait cette analyse.
Aujourd’hui, certains diplomates européens minimisent le risque d’un débordement direct sur le sol burundais. Mais la tension est palpable. Des milliers de soldats rwandais – entre 6 000 et 7 000 selon les experts onusiens – opèrent ouvertement en RDC.
La communauté internationale observe, impuissante, cette nouvelle escalade dans une région en guerre depuis trente ans.
Une crise humanitaire qui s’aggrave
Derrière les cartes et les stratégies militaires, ce sont des centaines de milliers de vies qui basculent. Les 30 000 réfugiés de la semaine dernière ne sont que la partie visible de la catastrophe.
Les camps au Burundi sont saturés. Les organisations humanitaires manquent de moyens. Et si Uvira tombe, ce sont des centaines de milliers de personnes supplémentaires qui pourraient se retrouver sur les routes.
Trente ans de conflits ont déjà déplacé des millions de personnes dans l’est congolais. Cette nouvelle vague risque d’aggraver une situation déjà dramatique.
Ce qui se joue à Uvira en ce moment n’est pas qu’une bataille de plus. C’est un tournant possible dans un conflit qui n’en finit pas de rebondir. Une ville se vide, une région bascule, et l’espoir d’une paix durable s’éloigne un peu plus à chaque heure qui passe. La communauté internationale saura-t-elle enfin agir avant qu’il ne soit trop tard ?









