C’est un tournant stratégique majeur qui se profile pour la pépite française de la medtech : Carmat, le fabricant du premier cœur artificiel au monde, envisage sérieusement de quitter la Bourse. Une sortie des marchés financiers vue comme une bouffée d’oxygène pour cette entreprise innovante mais en difficulté, qui cherche à se donner les moyens de ses ambitions.
Carmat : un parcours boursier chaotique
Introduit en fanfare sur le marché boursier Euronext en 2010, Carmat incarnait alors la réussite éclatante de l’innovation médicale à la française. Son projet phare : développer une prothèse cardiaque révolutionnaire, véritable alternative à la greffe pour les malades en attente d’un donneur compatible.
Mais après des débuts prometteurs, le titre Carmat a subi de lourdes dégringolades en Bourse. Retards de développement, problèmes techniques, incidents mortels chez des patients… Les déconvenues se sont enchaînées, faisant plonger le cours de plus de 90% par rapport à ses plus hauts historiques.
Aujourd’hui valorisée à moins de 2€ par action contre plus de 100€ à ses grandes heures, la medtech tricolore peine à convaincre les investisseurs. Et les besoins de financement de cette startup de haute technologie l’obligent à enchaîner des levées de fonds dans des conditions difficiles, pour assurer sa survie à court terme.
Quitter la Bourse pour mieux rebondir
Face à ce constat amer, la direction de Carmat explore une piste radicale : sortir purement et simplement de la cote. Une option jugée “prématurée pour en parler” mais qui serait “une très bonne solution”, a confié le nouveau président du conseil d’administration Pierre Bastid.
“Ça permettrait aux équipes de travailler dans la sérénité, de ne plus être sous la pression de l’argent que l’on cherche”, argumente le dirigeant.
Pierre Bastid, Président du Conseil d’Administration de Carmat
Un scénario qui laisserait à Carmat les coudées franches pour poursuivre le développement de son cœur artificiel novateur, loin de la frénésie des marchés financiers et de leurs exigences de rentabilité à court terme.
Trouver un investisseur providentiel pour repartir de l’avant
Mais quitter la Bourse ne suffira pas. Pour réaliser ses ambitions, Carmat a besoin d’un puissant soutien financier.
“Dans un monde idéal, on trouverait quelqu’un qui a les poches très profondes, qui mettrait entre 200 et 300 millions sur la table”, complète Pierre Bastid.
Pierre Bastid, Président du Conseil d’Administration de Carmat
Autrement dit, un investisseur providentiel, capable d’injecter les sommes colossales nécessaires pour mener à bien les coûteux programmes de recherche et développement. Pas simple à trouver alors que Carmat traîne une réputation ternie par les échecs.
La France doit-elle laisser partir ce joyau technologique ?
Cette quête de financement pose aussi une question de souveraineté technologique. Carmat incarne en effet l’excellence de l’innovation médicale française. Un savoir-faire de pointe que beaucoup de pays nous envient.
Laisser cette pépite nationale passer sous pavillon étranger serait un signal alarmant pour toute la filière medtech tricolore. Surtout à l’heure où la France affiche de grandes ambitions dans la santé du futur et les technologies de rupture.
Mais entre soutenir des fleurons industriels stratégiques et colmater les brèches budgétaires, l’État devra sans doute faire des choix. Reste à savoir si Carmat et son cœur artificiel entreront dans les priorités de l’exécutif.
Un bilan en demi-teinte pour la prothèse cardiaque de Carmat
Avec seulement une cinquantaine de cœurs implantés depuis sa création, le bilan médical de Carmat apparaît pour l’instant mitigé. Loin en tout cas des espoirs suscités par cette technologie pionnière lors de son lancement.
- Des incidents mortels liés à des dysfonctionnements ont obligé Carmat à suspendre la production pendant près d’un an en 2022
- L’entreprise peine à séduire suffisamment de centres hospitaliers pour implanter sa prothèse et étendre son utilisation
- Les procédures d’autorisation réglementaire ralentissent le déploiement commercial du dispositif innovant
Autant de défis à surmonter pour Carmat s’il veut s’imposer comme une solution crédible et massive face aux pathologies cardiaques. La route est encore longue pour démocratiser cette technologie révolutionnaire mais pour l’instant confidentielle.
Pas question d’abandonner la partie
Malgré ces écueils, hors de question pour Carmat de jeter l’éponge. L’entreprise veut croire en l’avenir de son cœur artificiel et se donne les moyens de ses ambitions.
En témoignent les partenariats noués avec des industriels de renom comme Airbus pour fiabiliser la production. Ou les investissements consentis pour accélérer les études cliniques et gonfler le portefeuille de brevets.
Il faudra cependant convaincre des investisseurs de miser gros sur ce projet aussi fascinant qu’incertain. Et redonner confiance aux patients et aux médecins après les ratés des dernières années.
Bref, un véritable chemin de croix attend encore Carmat. Mais l’entreprise est déterminée à transformer son rêve de cœur éternel en success story médicale. En espérant que les marchés financiers ne coupent pas brutalement les vivres à cette aventure industrielle et humaine hors norme.