Depuis sa libération en août dernier dans un échange historique de prisonniers entre Moscou et les Occidentaux, l’artiste et opposante russe Alexandra Skotchilenko ne cesse d’alerter sur une réalité méconnue et préoccupante : le sort des adolescents emprisonnés en Russie pour des motifs politiques. Lors d’un entretien accordé à l’AFP à Paris, la jeune femme de 34 ans a plaidé pour que ces mineurs, qu’elle considère comme « les plus vulnérables », soient au cœur des prochains échanges de prisonniers s’ils devaient avoir lieu.
Contrairement aux figures d’opposition célèbres comme Vladimir Kara-Mourza ou Illia Iachine, eux aussi libérés en août, Alexandra Skotchilenko souligne que ces adolescents n’ont pas de valeur politique aux yeux du régime. Pourtant, selon l’ONG Memorial, plus d’une cinquantaine de mineurs seraient actuellement détenus pour des accusations à caractère politique. Un chiffre alarmant qui ne reflète probablement qu’une partie de la réalité, beaucoup de familles craignant que médiatiser le cas de leur enfant ne lui nuise.
Des conditions de détention effrayantes pour les mineurs
Lors de sa détention à Saint-Pétersbourg, Alexandra Skotchilenko a pu constater de ses propres yeux la dure réalité des jeunes prisonniers politiques. Enfermés dans les mêmes centres que de jeunes criminels et des violeurs, leur quotidien est rythmé par la violence. « C’est effrayant », confie-t-elle, encore marquée par les bruits de bagarres qui résonnaient chaque nuit.
Parmi ces adolescents se trouve Arséni Tourbine, un collégien de 16 ans reconnu coupable de terrorisme en juin dernier. Âgé de seulement 15 ans lors de son arrestation, il purge actuellement une peine de 5 ans dans un centre correctionnel. Son cas, médiatisé grâce à l’opiniâtreté de ses proches, demeure malheureusement une exception. Beaucoup de familles préfèrent garder le silence, tiraillées entre la peur des représailles et l’espoir d’une libération rapide.
Un enjeu crucial pour exposer « l’hypocrisie » du régime
Aux yeux d’Alexandra Skotchilenko, obtenir la libération de ces jeunes prisonniers serait « un gros coup » porté au régime de Vladimir Poutine. Cela permettrait en effet d’exposer au grand jour « l’hypocrisie » d’un pouvoir qui, d’un côté, prône haut et fort des valeurs familiales mais qui, de l’autre, « tourmente » sans scrupules des enfants et leurs parents.
Malgré sa propre épreuve – elle a été emprisonnée pendant de longs mois malgré un état de santé fragile – l’artiste russe entend poursuivre son combat depuis l’Allemagne, pays qui lui a accordé l’asile politique. Hors de question pour elle de retourner en Russie, ce pays qui lui a signifié sans ambages de « ficher le camp ». Même si le régime de Poutine venait à disparaître, Alexandra Skotchilenko n’est pas certaine de pouvoir y trouver sa place, dans une société qui a pris un virage ultraconservateur ciblant notamment les personnes LGBT+.
« Ce que je ressens aujourd’hui, c’est du soulagement, de l’euphorie, en raison de ma nouvelle vie », confie la jeune femme qui s’apprête à commencer un nouveau chapitre outre-Rhin avec sa compagne. « Nous recommençons à zéro », sourit-elle.
Un nouveau départ porteur d’espoir, mais qui ne lui fait pas oublier pour autant le combat de ceux qui, comme ces adolescents, restent prisonniers d’un système répressif impitoyable. Par son témoignage et son engagement, Alexandra Skotchilenko entend bien continuer à être leur voix, avec l’espoir qu’un jour, eux aussi pourront goûter à cette liberté si chèrement acquise.