Dans un village de Seine-et-Marne, on ne plaisante plus avec le téléphone. Pour lutter contre les dangers du smartphone, le maire a pris un arrêté interdisant purement et simplement son utilisation dans l’espace public. Une mesure choc aussitôt attaquée en justice… et annulée. Mais le débat est lancé et les habitants partagés entre soulagement et inquiétude. Voyage au cœur d’une ville qui a osé braver les géants de la tech.
Un maire en croisade contre la nomophobie
À l’origine de cette initiative peu banale, un édile localement connu pour ses coups d’éclat. Excédé de voir ses administrés déambuler dans les rues le nez rivé sur leur écran, au mépris de leur sécurité et de la convivialité, il a décidé de frapper fort. “Je ne pouvais plus rester les bras croisés face à ce fléau, explique-t-il. Les gens ne se parlent plus, ne regardent plus où ils marchent, c’est devenu invivable !”.
Pour étayer son propos, l’élu brandit quelques chiffres éloquents. Selon une étude récente, les Français passeraient en moyenne 5h07 par jour sur leur mobile. Pire, un tiers d’entre eux avoue utiliser son téléphone en marchant dans la rue, au risque de heurter un obstacle ou de provoquer un accident. Des comportements symptomatiques de ce qu’on appelle désormais la “nomophobie”, contraction de “no mobile-phone phobia”, cette peur panique d’être séparé de son précieux appareil.
Face à ce qu’il considère comme une véritable épidémie d’addiction, le maire a donc dégainé son arme fatale : l’arrêté municipal. Un texte lapidaire interdisant “l’usage des téléphones portables et autres appareils numériques sur la voie publique”, sous peine d’une amende de 38 euros. De quoi refroidir les accros du mobile ? Pas si sûr…
Les habitants partagés
Dans les rues du village, l’arrêté anti-smartphone fait beaucoup parler. Si certains se réjouissent de cette initiative salutaire, d’autres crient à l’atteinte aux libertés individuelles. “On marche déjà sur la tête, maintenant on ne pourra même plus téléphoner tranquillement”, s’agace un jeune homme, les yeux rivés sur son écran.
À l’inverse, cette mère de famille applaudit des deux mains : “C’est très bien, au moins les gens regarderont devant eux ! L’autre jour j’ai failli me faire renverser par un type en trottinette qui textotait. C’est devenu n’importe quoi.” Un peu plus loin, un retraité philosophe : “De toute façon, la loi ou pas, moi je ne m’en sers pas de leur machin. Je préfère encore parler aux gens en vrai !”
Ironie du sort, la nouvelle de l’arrêté s’est répandue comme une traînée de poudre… sur les réseaux sociaux. De quoi offrir au village une publicité inespérée. “On m’a même proposé de venir tourner un reportage, sourit le maire. Si ça peut faire avancer le débat au niveau national, je ne dirais pas non”. En attendant, il devra s’en tenir à de la sensibilisation : la justice vient en effet de suspendre son arrêté, jugé illégal car outrepassant le pouvoir de police du maire.
Une prise de conscience nécessaire
Au-delà du buzz médiatique, cette histoire soulève un vrai problème de société. Avec la multiplication des écrans et la connectivité permanente, la frontière entre sphères privée et publique devient de plus en plus ténue. “Les gens ont développé un rapport fusionnel, quasi-pathologique à leur téléphone, analyse un sociologue. C’est devenu un prolongement d’eux-mêmes, une béquille émotionnelle et sociale dont ils ne peuvent plus se passer”.
Un phénomène qui n’est pas sans conséquences sur la santé mentale, l’attention, le sommeil… Mais aussi sur nos relations aux autres et notre rapport à l’espace partagé. Difficile en effet d’être pleinement présent à ce qui nous entoure quand on a le nez collé à son écran. D’où l’importance de réapprendre à lever le regard et à se reconnecter au réel.
“Le vrai luxe, aujourd’hui, ce n’est pas d’être hyper-connecté mais de pouvoir se déconnecter”
Phrase d’un spécialiste des usages numériques
Si l’arrêté du village de Seine-et-Marne peut sembler anecdotique, il a le mérite de poser la question des dérives du smartphone dans l’espace public. Et si la solution passait par davantage de régulation, mais aussi d’éducation ? Apprendre aux plus jeunes les vertus de la déconnexion volontaire, inciter chacun à interroger son rapport au téléphone… Tout un programme ! En attendant, rien ne vous empêche, pour une fois, de traverser la rue le nez en l’air. À vos risques et périls.