En ces temps troublés, une étonnante histoire nous parvient tout droit de la Somme. Un précieux trésor archéologique, enfoui depuis l’époque mérovingienne et mis au jour en pleine Seconde Guerre mondiale par un soldat allemand, vient enfin de retrouver sa terre d’origine, 84 ans après sa découverte. Une fascinante épopée mêlant guerres, passion pour l’archéologie et amitié franco-allemande.
Quand la guerre rencontre l’archéologie
Nous sommes en juin 1940, à quelques semaines de l’armistice. Curt Arpe, jeune soldat allemand de 27 ans, est alors posté à Fossemanant, un paisible village de la Somme. Mais derrière l’uniforme se cache une âme de scientifique, passionnée d’archéologie. Apercevant une pierre taillée dans un pré, Curt Arpe n’hésite pas à entamer des fouilles improvisées.
Et quelle n’est pas sa surprise de tomber sur plusieurs sépultures remontant à l’époque mérovingienne, entre le 6ème et le 8ème siècle. Certaines recèlent même de magnifiques vases en céramique, des pièces d’une valeur inestimable. Le soldat-archéologue réalise alors de précieux clichés de sa découverte et emporte avec lui 11 vases, une “acquisition” négociée auprès du propriétaire du terrain et de quelques habitants.
Du champ de bataille au champ de fouilles
Curt Arpe n’était visiblement pas fait pour les armes. Ancien élève du philosophe Martin Heidegger à l’université de Hambourg, diplômé en philologie classique, il était l’auteur d’une thèse sur la quiddité chez Aristote. Un profil atypique sous l’uniforme de la Wehrmacht. Après ses fouilles de Fossemanant, le voilà contraint de retourner au front. Une ultime mission dont il ne reviendra pas, tombant deux ans plus tard quelque part en Russie.
Les sites les plus fouillés en Picardie sont, pour une grande majorité, d’époque gallo-romaine. Cette restitution, c’est sans aucun doute une chance pour nos collections.
– Gilles Prilaux, archéologue
Une découverte qui traverse le temps
Précieusement conservée par la famille de Curt Arpe, la collection de vases a traversé les décennies. D’abord à Hambourg, puis à Brême chez Wolfgang Voigt, le beau-fils de l’archéologue. Ancien directeur du musée de l’Architecture allemande à Francfort, c’est lui qui entreprend les démarches de restitution auprès du centre archéologique de la Somme, jugeant que c’était à son tour de devenir le gardien de ce trésor.
Un retour au bercail inespéré pour les archéologues picards, comme le confirme Gilles Prilaux :
On ne pouvait pas les refuser, c’est exceptionnel !
– Gilles Prilaux, chef du pôle scientifique pour Somme patrimoine
Le trésor de Fossemanant bientôt dévoilé au public
Réceptionnés en mai dernier, les vases vont maintenant faire l’objet d’analyses approfondies pour affiner leur datation et percer leurs ultimes secrets. Une aubaine pour la recherche archéologique locale, les sites mérovingiens étant bien plus rares que leurs homologues gallo-romains dans la région.
Le 20 juillet prochain, la restitution sera officialisée en présence de Wolfgang Voigt et de son frère, dans le village même de Fossemanant. Un épilogue tout en symbolique et en émotion, placé sous le signe de l’amitié franco-allemande. Dès septembre, le public aura le privilège de pouvoir admirer ces vestiges d’un lointain passé, miraculeusement préservés par un soldat épris d’archéologie. Une exposition à ne manquer sous aucun prétexte !
Voilà comment une passion, même dans les circonstances les plus inattendues, peut traverser les âges et tisser des liens par-delà les frontières et les conflits. Le trésor de Fossemanant, témoin d’une époque révolue, devient ainsi le symbole d’une résilience culturelle et d’un dialogue retrouvé. Une bien belle leçon d’histoire et d’humanité.