Imaginez un livre vieux de près de cent cinquante ans, dont la reliure usée porte encore le sceau d’une communauté disparue depuis presque un siècle. Un exemplaire qui a dormi dans la poussière de Gaza, puis resurgi comme un fantôme du passé au milieu d’une guerre impitoyable. C’est ce trésor qu’un rabbin israélien orthodoxe envisage d’offrir au président américain Donald Trump, en signe de reconnaissance pour son rôle dans la libération des derniers otages du 7 octobre.
Un cadeau chargé d’histoire et de symboles
Shlomo Raanan, rabbin orthodoxe de 63 ans et collectionneur passionné d’objets juifs anciens, n’a pas hésité une seconde lorsqu’un antiquaire lui a parlé de cet exemplaire exceptionnel du Shoulhan Arouch. Imprimé en Lituanie en 1876, ce recueil fondamental des lois juives codifiées au XVIe siècle possède une particularité rarissime : un tampon trilingue, en hébreu, arabe et français, qui indique clairement « Propriété de la sainte communauté juive de Gaza ».
Le rabbin l’a acquis peu après le début de la guerre déclenchée le 7 octobre 2023. Selon les informations qu’il a recueillies, l’ouvrage aurait été retrouvé par un ouvrier palestinien travaillant en Israël avant le conflit, puis transmis à son employeur israélien. Un parcours improbable pour un livre qui témoigne d’une présence juive pluriséculaire dans la ville de Gaza.
Un tampon qui raconte trois langues et un monde disparu
Sur la deuxième de couverture, le tampon est parfaitement lisible :
En hébreu : קניין קהלת הקודש של עזה
En arabe : جمعية إسرائيلية غزة
En français : Communauté israélite de Gaza, Palestine
Cette mention trilingue, typique de l’époque du mandat britannique, est une véritable capsule temporelle. Elle rappelle que jusqu’en 1929, une communauté juive vivait bel et bien à Gaza, avec ses synagogues, ses écoles talmudiques et ses rabbins célèbres dans tout le monde séfarade.
Les émeutes arabes de 1929 mirent brutalement fin à cette présence. Les derniers juifs quittèrent la ville sous la protection britannique, abandonnant maisons, cimetières et bibliothèques. Le Shoulhan Arouch de Shlomo Raanan est probablement l’un des derniers témoins matériels de cette histoire oubliée.
Des figures légendaires qui ont marqué Gaza juive
Parmi les grands noms liés à cette communauté figure Israël Najara, poète et grand rabbin de Gaza au début du XVIIe siècle. Auteur du célèbre cantique Ya Ribon Olam (« Maître éternel du monde »), encore chanté chaque vendredi soir à la table du shabbat dans des millions de foyers juifs à travers le monde.
« Ya ribon olam ve-alamayya, anta malkah bacharta bina… »
Premiers mots du poème d’Israël Najara, toujours entonné le vendredi soir
Un peu plus tard, au milieu du XVIIe siècle, Nathan de Gaza devint l’un des principaux disciples du faux messie Sabbataï Tsevi. Même après la conversion forcée de ce dernier à l’islam, Nathan continua de propager sa doctrine depuis Gaza, provoquant une onde de choc dans tout le judaïsme mondial.
Ces deux figures montrent à quel point Gaza fut, pendant des siècles, un centre spirituel juif d’importance, bien avant les colonies modernes installées après 1967 et démantelées en 2005.
Pourquoi offrir ce livre à Donald Trump ?
Shlomo Raanan a annoncé vouloir rencontrer prochainement le président américain pour lui remettre personnellement l’ouvrage. Un cadeau qui ne sera pas anodin : le rabbin souhaite que les otages libérés grâce au cessez-le-feu du 10 octobre y apposent leur signature et quelques mots de gratitude.
Pour lui, l’implication personnelle de Donald Trump dans les négociations a été décisive. Les pressions exercées sur les deux parties ont permis l’entrée en vigueur d’un fragile cessez-le-feu, puis la libération, trois jours plus tard, des vingt derniers otages vivants encore détenus à Gaza.
« Ce livre crée un pont », explique le rabbin. Un pont entre l’ancienne communauté juive de Gaza, les otages qui ont souffert dans cette même ville, et l’homme politique qui a contribué à leur retour.
Quand le livre parle lui-même de la libération des captifs
Le plus troublant reste peut-être le contenu même du Shoulhan Arouch. En ouvrant délicatement les pages jaunies devant les journalistes, Shlomo Raanan s’arrête sur le chapitre consacré à la rédemption des captifs selon la loi juive.
« Il n’existe pas de commandement plus grand que la libération des captifs »
Shoulhan Arouch, Yoré Déa 252
Le texte pose ensuite la question morale fondamentale : Doit-on risquer sa propre vie pour sauver celle d’autrui ? Une interrogation qui résonne cruellement avec les deux années de guerre, les négociations interminables et les dilemmes terribles auxquels Israël a été confronté.
Pour le rabbin, ce passage n’est pas anodin. « C’est tout le débat de ces deux dernières années », confie-t-il, la voix chargée d’émotion.
Shlomo Raanan, l’homme derrière le geste
À 63 ans, Shlomo Raanan n’est pas seulement collectionneur. Fondateur d’une association qui tente de créer des ponts entre juifs religieux et laïcs, il s’est entièrement consacré aux familles d’otages depuis le 7 octobre 2023.
Pendant deux ans, il a installé une tente sur la place des Otages à Tel-Aviv. Prières collectives, veillées, rencontres avec des personnalités politiques : il est devenu une figure incontournable du soutien aux familles.
« Parfois, raconte-t-il, les parents me disaient : pourquoi se lever demain ? Où trouver la force ? Et ce livre, d’une certaine manière, répondait : le peuple d’Israël ne disparaîtra pas. »
Chaque soir, en étudiant ses pages, il y puisait espoir et résilience. Un espoir qu’il veut aujourd’hui transmettre à celui qu’il considère comme un artisan de la libération.
Un symbole plus grand que le conflit
Au-delà du geste personnel, ce Shoulhan Arouch porte une signification profonde. Il rappelle qu’avant les divisions contemporaines, juifs et arabes ont partagé le même sol à Gaza, parfois dans la paix, souvent dans la tourmente, mais toujours avec une histoire commune.
Son tampon trilingue est là pour en témoigner : hébreu, arabe et français coexistent sur la même page, comme un souvenir d’un temps où la coexistence, même fragile, était possible.
En l’offrant à Donald Trump, Shlomo Raanan ne fait pas seulement un cadeau. Il tend un fil entre le passé millénaire des juifs de Gaza, le drame des otages et l’espoir, toujours renouvelé, d’un avenir où la vie l’emportera sur la haine.
Et quelque part, entre ces pages jaunies, une phrase continue de résonner : il n’y a pas de commandement plus grand que de ramener les captifs chez eux.









