Un procès retentissant débute ce vendredi au tribunal de Paris. Trois individus, dont une lycéenne, sont jugés pour avoir proféré des menaces de mort contre la proviseure de leur établissement. Son tort ? Avoir demandé à la jeune fille de retirer son abaya, ce vêtement ample porté par certaines musulmanes, au nom du respect de la laïcité. Une affaire explosive qui ravive les tensions autour du port de tenues religieuses à l’école.
Menacée pour avoir fait respecter la loi
Tout commence en mars dernier au lycée Romain-Rolland d’Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne. Meissa S., élève de terminale âgée de 18 ans, se présente en cours vêtue d’une abaya et d’un voile. La proviseure lui demande alors de les retirer, en vertu de la loi de 2004 qui proscrit les tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Face au refus de la lycéenne, la cheffe d’établissement prononce son exclusion pour atteinte à la laïcité. C’est alors que l’affaire prend une tournure inquiétante. Sur les réseaux sociaux, Meissa S. accuse la direction de son lycée d’islamophobie. Sa publication déclenche un déferlement de haine contre la proviseure et une conseillère du rectorat.
Des propos d’une violence inouïe
Outre l’élève exclue, deux autres individus, Eloïm W. et Jules L., nés en 2003, sont poursuivis pour leurs propos menaçants publiés en ligne. Parmi les messages ayant visé les deux responsables de l’Éducation nationale, on peut lire des appels au meurtre d’une rare violence :
« Ne me parlez même pas de légalité, il faut les décapiter ces deux idiotes »
– Un internaute menaçant
Ou encore :
« Ces deux putes méritent la mort, elles doivent payer pour leur racisme. On devrait leur faire la peau. »
– Un autre message haineux
Suite à ce déferlement de haine, la proviseure et la conseillère du rectorat ont dû être placées sous protection policière. Les trois prévenus encourent jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende pour ces faits.
L’abaya, un vêtement religieux ?
Au cœur de cette affaire, la question du statut de l’abaya cristallise les tensions. Cette longue robe, portée par de nombreuses musulmanes notamment dans la péninsule arabique, est-elle un signe religieux qui n’a pas sa place à l’école publique ? C’est ce que considèrent de nombreux chefs d’établissement qui demandent son interdiction.
Mais pour ses défenseurs, l’abaya est avant tout un vêtement traditionnel, et l’interdire constituerait une atteinte à la liberté de s’habiller. Un débat qui divise et suscite les passions, comme en témoigne le déferlement de haine subi par la proviseure d’Ivry-sur-Seine.
Une affaire symptomatique des tensions
Au-delà des faits reprochés aux trois prévenus, ce procès cristallise les crispations autour de la laïcité et de l’expression religieuse dans la sphère publique. Près de 20 ans après la loi sur les signes religieux à l’école, la polémique sur les tenues portées par certaines musulmanes continue de diviser la société française.
Si la loi interdit clairement le port du voile islamique dans les établissements scolaires, le statut d’autres vêtements comme l’abaya reste plus flou. Face à ce vide juridique, chaque établissement est renvoyé à sa propre interprétation, ce qui génère régulièrement des tensions.
L’ampleur qu’a prise l’affaire d’Ivry-sur-Seine, avec ces graves menaces proférées contre des responsables de l’Éducation nationale, illustre la sensibilité exacerbée qui entoure ces questions. Un climat délétère dans lequel les chefs d’établissement se retrouvent souvent en première ligne, devant faire respecter la laïcité tout en évitant les polémiques.
L’école, un sanctuaire laïque fragilisé
Au final, c’est le modèle de la laïcité à la française qui se retrouve fragilisé par ces affaires à répétition. L’école, pensée comme un sanctuaire où les appartenances religieuses doivent s’effacer derrière la figure de l’élève citoyen, peine de plus en plus à faire consensus.
Entre ceux qui défendent une laïcité stricte interdisant toute expression religieuse, et ceux qui prônent une approche plus souple au nom de la liberté individuelle, le fossé ne cesse de se creuser. Un clivage dont l’affaire de l’abaya d’Ivry-sur-Seine est le symptôme le plus récent, et sans doute pas le dernier.