Dans son dernier ouvrage « Qu’on me cherche et je ne serai plus », l’écrivain noir américain John Edgar Wideman poursuit sa réflexion sur les blessures profondes et les traumatismes encore vifs hérités de l’esclavage et de la ségrégation. À plus de 80 ans, cette figure majeure de la littérature afro-américaine, souvent comparé à Faulkner, continue d’explorer avec une écriture complexe et singulière les thèmes qui traversent toute son œuvre : la culpabilité, la colère et l’impossibilité pour un homme noir d’assumer toute la souffrance de son peuple.
Une quête identitaire douloureuse
Au fil des pages, Wideman tisse un patchwork de nouvelles, de fragments autobiographiques et de réflexions sur l’histoire noire américaine. Le fil rouge qui unit ces textes éclectiques, c’est cette interrogation lancinante : comment se construire en tant qu’individu et en tant que peuple quand on porte en soi les stigmates de l’oppression et de la déshumanisation ?
Comment vivre avec ce poids de l’histoire, ces fantômes du passé qui hantent chaque instant du présent ?
C’est tout le sens de ce titre énigmatique, « Qu’on me cherche et je ne serai plus », qui évoque à la fois une présence spectrale et insaisissable, et le désir de se libérer enfin de ce fardeau mémoriel.
Le devoir de mémoire comme nécessité
Mais pour Wideman, l’oubli n’est pas une option. Au contraire, il y a chez lui une forme d’urgence à dire, à témoigner, à ne pas laisser ces blessures béantes se refermer dans le silence et le déni. Écrire, c’est une manière de lutter contre l’effacement, de redonner une voix et une dignité à ceux qui en ont été privés.
Porter la mémoire de cette souffrance, c’est un devoir moral autant qu’une nécessité existentielle.
Et si cette mémoire est douloureuse, elle est aussi porteuse d’une force et d’une résilience extraordinaires. C’est dans les plis de cette histoire tourmentée que se niche, selon Wideman, la source vive de la créativité et de l’identité noires américaines.
Une écriture de la complexité
Sur le plan formel, « Qu’on me cherche et je ne serai plus » confirme l’audace et la singularité de l’écriture de Wideman. Loin des codes traditionnels du récit, il privilégie une forme éclatée, kaléidoscopique, qui mêle les genres et les registres. Une écriture à son image, complexe et insaisissable, qui cherche à rendre compte du caractère lacunaire et fragmenté de la mémoire noire.
Mais derrière cette apparente déconstruction se dessine une architecture secrète, une cohérence profonde. Comme toujours chez Wideman, la virtuosité formelle est au service d’une quête de sens et de vérité. Une manière de faire entendre, par-delà le chaos apparent, la voix ténue mais obstinée d’une humanité meurtrie en quête de réparation.
Un témoignage nécessaire
Plus qu’un simple livre, « Qu’on me cherche et je ne serai plus » est un témoignage essentiel, un jalon dans cette vaste entreprise de réappropriation mémorielle et identitaire dans laquelle est engagée la littérature afro-américaine depuis des décennies. En donnant à entendre les voix étouffées du passé, en explorant sans concession les zones d’ombre de l’histoire et de l’âme noires, John Edgar Wideman accomplit un geste à la fois littéraire et politique d’une grande portée.
À l’heure où l’Amérique peine encore à affronter les pages sombres de son passé, sa contribution s’avère plus que jamais nécessaire.
Exigeant, parfois déroutant, mais toujours animé par une profonde exigence de vérité, ce livre est à l’image de son auteur : incontournable. Une œuvre qui, en sondant les blessures de l’hier, éclaire les défis du présent et trace, peut-être, les contours d’un avenir où la réconciliation serait enfin possible. Un futur où, comme l’écrit Wideman, « on finirait par se trouver après s’être longtemps cherchés ».