Imaginez un terrain de football poussiéreux, baigné par le soleil catalan, où des joueurs s’affrontent avec passion. Mais au lieu d’un ballon classique, c’est une reproduction hyperréaliste de la tête de Francisco Franco, l’ancien dictateur espagnol, qui rebondit sur le gazon. Cette scène, à la fois provocante et symbolique, a marqué l’ouverture d’un festival d’avant-garde dans une petite ville près de Barcelone. Bien plus qu’un simple match, cette performance artistique soulève des questions brûlantes sur la mémoire, l’histoire et la résistance.
Une Performance qui Défie l’Histoire
Dans la petite ville de Moià, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Barcelone, le festival Ex Abrupto a démarré de manière spectaculaire. Cette manifestation culturelle, dédiée à l’art audacieux et engagé, a choisi de frapper fort dès son inauguration. Une performance intitulée La Coupe du Généralissime, en référence à une compétition de football sous la dictature de Franco (1939-1975), a transformé un terrain proche d’anciennes tranchées républicaines en théâtre d’une réflexion antifasciste. Ce n’est pas seulement un match, mais une déclaration artistique contre l’oppression.
L’Art au Service de la Mémoire
Au cœur de cette performance, on trouve l’artiste espagnol Eugenio Merino, connu pour ses œuvres provocantes qui s’attaquent à la figure de Franco et à l’héritage de son régime. Avec le collectif activiste Indecline, il a imaginé ce match où une tête hyperréaliste du dictateur sert de ballon. Cette création n’est pas anodine : elle s’inscrit dans une démarche de réappropriation de l’histoire, 50 ans après la mort de Franco en 1975. En transformant un symbole de répression en objet de jeu, les artistes invitent à réfléchir sur le poids du passé.
« C’est le 50e anniversaire de la mort de Franco, et il me semblait nécessaire de commémorer cette mort », explique Eugenio Merino dans une interview radiophonique.
Ce n’est pas la première fois que Merino utilise l’image de Franco pour provoquer. Il y a une décennie, son œuvre Always Franco, montrant le dictateur dans un réfrigérateur, avait suscité un tollé lors d’une foire d’art à Madrid. Plus tard, Punching Franco, où la tête du dictateur était fixée sur un punching-ball, avait également défrayé la chronique. Ces créations, bien que controversées, n’ont jamais été condamnées par les tribunaux, malgré les plaintes d’une fondation portant le nom de Franco.
Un Lieu Chargé d’Histoire
Le choix du lieu pour ce match n’est pas anodin. Moià, nichée dans la province de Barcelone, est proche d’anciennes tranchées datant de la Guerre civile espagnole (1936-1939). Ces fossés, occupés par les Républicains avant leur défaite face aux forces franquistes, ajoutent une dimension symbolique à l’événement. En jouant sur ce terrain, les artistes ravivent la mémoire des luttes passées, tout en transformant un espace de conflit en lieu de création et de réflexion.
Le match lui-même, limité à un petit public pour des raisons logistiques, a été filmé pour être diffusé dans un bar local les jours suivants. La tête de Franco, exposée au musée de la ville, devient ainsi un objet à la fois artistique et historique, invitant les visiteurs à s’interroger sur le passé de l’Espagne.
Quelques éléments clés de la performance :
- Lieu : Terrain près des tranchées républicaines à Moià.
- Concept : Un match de football avec une tête de Franco comme ballon.
- Artistes : Eugenio Merino et le collectif Indecline.
- Objectif : Réflexion sur l’antifascisme et la mémoire collective.
Un Acte Antifasciste et Festif
Ce match, qualifié d’antifasciste par ses créateurs, ne se contente pas de provoquer. Il incarne une forme de célébration collective, où l’humour et l’irrévérence se mêlent à une réflexion sérieuse. Comme l’explique Merino, l’idée est de retrouver « l’esprit d’un village qui joue et s’amuse », tout en portant un message politique fort. En jouant avec l’image de Franco, les artistes désacralisent le dictateur, le réduisant à un simple objet de jeu, loin de son aura oppressante.
Cette démarche s’inscrit dans une tradition d’art engagé, où la provocation sert à réveiller les consciences. En Espagne, où les blessures de la dictature et de la Guerre civile restent vives, ce type de performance résonne particulièrement. Elle rappelle que l’art peut être un outil puissant pour questionner l’histoire et ses héritages.
Un Collectif Habitué à la Provocation
Le collectif Indecline, partenaire de Merino dans ce projet, n’en est pas à son coup d’essai. Ce groupe d’artistes et d’activistes est connu pour ses actions audacieuses à travers le monde. Par le passé, ils ont organisé des matchs similaires, utilisant des reproductions des têtes de figures politiques controversées comme Donald Trump près de la frontière américano-mexicaine, ou de Jair Bolsonaro au Brésil. Ces performances, toujours à la lisière de l’art et de l’activisme, cherchent à dénoncer les abus de pouvoir tout en captant l’attention du public.
Leur collaboration avec Merino pour La Coupe du Généralissime s’inscrit dans cette lignée. En utilisant le football, sport universel et fédérateur, ils transforment une activité ludique en acte de résistance. Cette approche permet de toucher un public large, tout en suscitant des débats sur des sujets complexes comme l’héritage des dictatures.
L’Impact d’une Œuvre Controversée
Les œuvres de Merino et d’Indecline ne laissent personne indifférent. Elles divisent, choquent, mais surtout, elles interrogent. En Espagne, où le débat sur la mémoire historique reste brûlant, cette performance risque de raviver des discussions sur la place de Franco dans l’imaginaire collectif. Faut-il oublier, ou au contraire, confronter ce passé ? L’art peut-il être un moyen de guérir les blessures de l’histoire, ou ne fait-il qu’attiser les tensions ?
Pour beaucoup, ce match est une manière de tourner en dérision un symbole d’oppression, tout en rappelant les luttes antifascistes qui ont marqué l’Espagne. Pour d’autres, il pourrait être perçu comme une provocation inutile. Quoi qu’il en soit, l’œuvre atteint son objectif : faire parler, réfléchir et, peut-être, agir.
Œuvre | Description | Année |
---|---|---|
Always Franco | Statue de Franco dans un réfrigérateur | 2012 |
Punching Franco | Tête de Franco sur un punching-ball | Non précisée |
La Coupe du Généralissime | Match de foot avec une tête de Franco | 2025 |
Un Festival qui Repousse les Limites
Le festival Ex Abrupto se positionne comme un espace de liberté pour les artistes qui osent défier les conventions. En accueillant cette performance, il s’inscrit dans une démarche d’innovation culturelle, où l’art devient un outil de dialogue et de réflexion. Les projections du match dans un bar local et l’exposition de la tête de Franco au musée prolongent l’impact de l’œuvre, permettant à un public plus large de s’immerger dans cette expérience.
Ce type d’événement montre que l’art contemporain peut transcender les galeries pour investir l’espace public. En mêlant sport, histoire et provocation, La Coupe du Généralissime crée un moment unique, où le rire et la réflexion se côtoient. C’est une invitation à ne pas oublier, mais aussi à transformer le passé en quelque chose de vivant et de pertinent.
Pourquoi Cette Performance Compte
À une époque où les débats sur la mémoire historique sont plus actuels que jamais, cette performance artistique ne pouvait pas mieux tomber. Elle rappelle que l’histoire n’est pas figée dans les livres, mais qu’elle vit à travers les gestes, les symboles et les actes créatifs. En utilisant le football, un sport qui unit les foules, Merino et Indecline rendent leur message accessible, tout en conservant une profondeur intellectuelle.
Le choix de la tête de Franco comme ballon n’est pas gratuit. Il symbolise une volonté de désacraliser les figures autoritaires, de les ramener à une échelle humaine, voire risible. Pourtant, derrière l’humour, il y a une gravité : celle d’un pays qui continue de se confronter à son passé, entre mémoire et oubli.
Pourquoi cette œuvre résonne :
- Provocation : Elle bouscule les conventions et suscite le débat.
- Mémoire : Elle rappelle les blessures de la Guerre civile.
- Accessibilité : Le football rend l’art compréhensible par tous.
- Engagement : Elle incarne un message antifasciste clair.
En conclusion, La Coupe du Généralissime est bien plus qu’une simple performance artistique. C’est un acte de résistance, un cri d’antifascisme, et une célébration de la liberté créative. À Moià, sous le soleil catalan, les joueurs ont peut-être marqué des buts, mais c’est surtout l’histoire qui a été remise en jeu. Et si ce match nous poussait à repenser notre rapport au passé ?