C’est une scène aussi poignante qu’inattendue qui s’est déroulée dans la nuit du 19 au 20 juin dernier, au large des îles Canaries. L’Insignia, un majestueux paquebot de croisière voguant vers de nouvelles escales paradisiaques, a interrompu sa route pour porter secours à une frêle embarcation à la dérive, transportant 73 migrants subsahariens épuisés, dont des femmes et des enfants. Un sauvetage éprouvant, qui s’est soldé par la perte de 6 vies, happées par une mer impitoyable.
Quand deux mondes se percutent en pleine mer
Pour les quelque 300 passagers de l’Insignia, ce sauvetage impromptu aura sans doute un goût particulier. Confortablement installés dans ce cocon de luxe et de privilèges qu’est un paquebot de croisière, ils ont été brutalement confrontés à une réalité dérangeante. Comme le confie cette croisiériste à El País, journal espagnol :
Nous voyageons depuis près de cinq mois dans une bulle de bonheur, et tout d’un coup, on se retrouve face à la triste réalité.
Un choc des mondes qui ne laisse pas indifférent. D’un côté, l’insouciance et les rêves d’évasion. De l’autre, le dénuement le plus total et une quête désespérée d’un avenir meilleur, au péril de sa vie. Une confrontation aussi fugace que marquante.
Un sauvetage éprouvant
Malgré une mer agitée compliquant les manœuvres, l’équipage de l’Insignia s’est démené pour secourir les naufragés, sous le regard sidéré des croisiéristes massés sur le pont. Malheureusement, trois corps n’ont pu être remontés de la frêle pirogue malmenée par les flots. Une fois à bord, un migrant, à bout de forces, succombera à une sévère déshydratation. Au total, six vies fauchées, pour des dizaines d’autres miraculeusement sauvées.
L’élan de solidarité des croisiéristes
Bouleversés par ce drame, les passagers de l’Insignia ont spontanément fait preuve de générosité envers ces migrants de fortune, le temps d’une escale imprévue à Tenerife. La compagnie de croisière a fourni vivres et soins, tandis que les touristes organisaient une collecte de vêtements et d’effets de première nécessité. Un bel élan de solidarité, comme le raconte cette croisiériste :
J’ai donné la moitié de mes bagages… Quelle différence cela fait-il ? Je suis privilégiée : j’ai tout en abondance.
Une fois débarqués à Santa Cruz de Tenerife le 21 juin, les rescapés ont été pris en charge par la Croix-Rouge, tandis que les passagers reprenaient le cours de leur vie et de leur croisière. Mais tous garderont en mémoire ce sauvetage hors normes, et ces destins qui se sont croisés de manière aussi improbable qu’intense, le temps d’une nuit aux larges des Canaries.
Le périlleux exode des migrants subsahariens
Chaque année, des milliers de candidats à l’exil, fuyant guerres, persécutions ou misère, tentent la périlleuse traversée vers les Canaries, porte d’entrée de l’Europe, au départ des côtes africaines. Un périple semé d’embûches, à bord d’embarcations de fortune surchargées et sous-équipées, qui tournent parfois au drame. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations, plus de 1100 personnes ont déjà perdu la vie en tentant de rallier l’archipel espagnol depuis janvier 2023.
Face à ces tragédies à répétition, les ONG tirent une nouvelle fois la sonnette d’alarme et appellent l’Europe à mettre en place une véritable politique d’accueil des réfugiés, ainsi que des voies de migration légales et sûres. Pour que ces femmes, ces hommes et ces enfants n’aient plus à risquer leur vie en quête d’un avenir meilleur.
