Dans une ruelle discrète d’un quartier huppé d’Abidjan, une petite porte mène à un lieu unique : le Centre d’Accueil, de Soins et d’Accompagnement, ou CASA. Ce refuge, presque invisible depuis la rue, est un phare d’espoir pour des personnes marginalisées, en proie à l’addiction. Dans un pays où le trafic de drogues comme l’héroïne et la cocaïne a explosé, le CASA offre un accompagnement humain et médical à ceux que la société a souvent oubliés. Comment ce centre parvient-il à transformer des vies brisées par la drogue ?
Un Refuge au Cœur de la Crise
La Côte d’Ivoire, autrefois simple point de passage pour le trafic international de stupéfiants, est aujourd’hui confrontée à une hausse alarmante de la consommation de drogues. Les estimations, bien que rares, sont éloquentes : entre 30 000 et 40 000 personnes à Abidjan consomment des substances comme l’héroïne ou le Kadhafi, un mélange bon marché de tramadol et d’alcool. Face à cette crise, le CASA, créé en 2018, s’est imposé comme une réponse humaine à un problème complexe.
Ce centre, géré par l’ONG Espace Confiance avec le soutien de Médecins du Monde, accueille chaque jour une vingtaine de personnes. L’objectif ? Offrir un espace sûr où les usagers peuvent se reposer, se laver, et surtout bénéficier d’un accompagnement médical, psychologique et social, entièrement gratuit. Loin des jugements, le CASA se veut une maison, une famille pour ceux que l’addiction a isolés.
Un Havre de Paix au Milieu du Chaos
Entrer au CASA, c’est découvrir un lieu à l’atmosphère apaisante. La salle de repos, baignée de lumière douce, invite au calme. Certains usagers somnolent, d’autres discutent ou regardent la télévision. Derrière les portes, un véritable centre médical prend vie : une pharmacie, un laboratoire de dépistage, des salles de consultation et une infirmerie. Tout est pensé pour offrir un cadre discret, chaleureux, et respectueux des riverains.
« Ça m’a permis de me retrouver, de garder un travail, de me réinsérer dans la société », confie Hassan, 40 ans, usager régulier du centre.
Hassan, comme beaucoup, vient chaque jour pour son traitement à la méthadone, un substitut à l’héroïne qui l’aide à stabiliser sa vie. Après des années marquées par l’addiction, il a retrouvé un emploi de nuit et une dignité qu’il pensait perdues. Son témoignage illustre la mission du CASA : non pas juger, mais accompagner.
Une Approche Humaine Face à l’Addiction
Contrairement à de nombreux pays où la répression domine, la Côte d’Ivoire a opté pour une approche plus nuancée. Une loi de 2022 a réduit les peines pour les consommateurs de drogues, passant d’une condamnation de un à cinq ans de prison à seulement un à trois mois. Cette réforme reflète une volonté de traiter l’addiction comme un problème de santé publique plutôt que comme un crime.
Au CASA, cette philosophie se traduit par des actions concrètes. Les usagers bénéficient de traitements comme la méthadone, qui réduit les effets de manque et permet une réintégration progressive dans la société. Mamadou, 47 ans, incarne ce parcours de reconstruction. Après des années passées entre les fumoirs et la prison, il a trouvé au CASA une « deuxième naissance ».
« Pendant des années, j’alternais entre le fumoir et la prison. Aujourd’hui, j’ai un sens à ma vie », explique Mamadou, devenu éducateur pair au centre.
En tant qu’éducateur pair, Mamadou aide d’autres usagers à s’en sortir, partageant son expérience pour leur montrer qu’un autre avenir est possible. Ce rôle, essentiel, renforce le sentiment de communauté au sein du centre.
Les Fumoirs : l’Enfer au Quotidien
Les fumoirs, ou « ghettos », sont des lieux sombres où la misère et l’addiction se rencontrent. Dans ces abris de fortune, les usagers consomment crack, cannabis ou héroïne, souvent dans des conditions inhumaines. Massita, 35 ans, se souvient de cet enfer où elle a vécu pendant des années.
« Les gens y meurent comme des chiens, personne ne vient les chercher », raconte Massita, les avant-bras marqués par des années d’injections.
Aujourd’hui sous méthadone, Massita a retrouvé un appartement et passe ses journées au CASA, entourée de personnes qui la comprennent. Pour elle, le centre est plus qu’un lieu de soins : c’est un espace où elle peut reconstruire sa dignité.
Aller à la Rencontre des Oubliés
Le CASA ne se contente pas d’attendre que les usagers viennent à lui. Des équipes mènent des maraudes dans les fumoirs pour atteindre ceux qui n’osent pas franchir la porte du centre. Ces interventions permettent de distribuer des seringues à usage unique, des préservatifs, et de sensibiliser à la prévention des maladies comme le VIH.
Anicet, responsable des activités communautaires, explique : « Beaucoup de personnes malades dans les fumoirs ont peur de venir au CASA. Alors, c’est nous qui allons vers eux. » Ces maraudes sont cruciales pour briser la méfiance et informer sur les solutions comme la méthadone.
Les chiffres clés du CASA :
- Ouverture : 2018
- Usagers accompagnés : Plus de 3 000
- Budget annuel : Environ 218 000 euros
- Financement principal : Expertise France
Un Modèle à Répliquer
Le succès du CASA a inspiré l’ouverture d’un second centre à San Pedro, un port important pour le trafic de drogues. Ce modèle, qui combine soins médicaux, accompagnement social et prévention, montre qu’une approche humaine peut changer des vies. Pourtant, des défis persistent : le manque d’information et la stigmatisation empêchent encore beaucoup d’usagers d’accéder aux soins.
Le Dr Fériole, addictologue au CASA, souligne : « Certains ne savent même pas qu’ils pourraient bénéficier de la méthadone. » Cette méconnaissance est un obstacle majeur, que le centre tente de surmonter à travers ses actions de sensibilisation.
Vers un Avenir Plus Lumineux
Le CASA n’est pas seulement un centre de soins : c’est un symbole d’espoir. Pour des personnes comme Hassan, Mamadou ou Massita, il représente une chance de se reconstruire, de retrouver une place dans la société. Mais au-delà des parcours individuels, le CASA met en lumière une vérité essentielle : l’addiction n’est pas une fatalité.
En combinant compassion, expertise médicale et engagement communautaire, ce centre prouve qu’il est possible de briser le cycle de la drogue. Alors que la Côte d’Ivoire fait face à une crise croissante, des initiatives comme le CASA rappellent qu’avec du soutien, chacun peut retrouver le chemin de la dignité.
Et si la clé était dans l’accompagnement humain ?
Le CASA ne peut pas accueillir tous les usagers d’Abidjan, mais il montre la voie. En allant à la rencontre des plus vulnérables, en offrant des solutions concrètes et en luttant contre la stigmatisation, ce centre redonne espoir à une population oubliée. Une question demeure : combien d’autres pourraient être sauvés avec plus de moyens ?