Dans un tournant diplomatique majeur, l’Union européenne envoie aujourd’hui un haut représentant à Damas pour rencontrer les dirigeants du nouveau pouvoir syrien, dominé par des groupes islamistes. Cette visite intervient un peu plus d’une semaine après la chute de Bachar al-Assad, au terme de près de 14 ans d’une guerre civile dévastatrice.
Un changement de cap des chancelleries étrangères
Alors qu’elles s’étaient montrées prudentes dans un premier temps, les chancelleries étrangères ont intensifié ces derniers jours leurs efforts pour nouer des liens avec les nouveaux dirigeants syriens. Parmi eux figure Abou Mouhammad al-Jolani, chef du groupe radical islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS), fer de lance de l’offensive rebelle qui a permis de s’emparer d’une grande partie du pays en seulement onze jours.
Selon une source proche du dossier, le haut représentant de l’UE dépêché à Damas aujourd’hui aura pour mission de « discuter du niveau d’engagement avec les nouveaux dirigeants syriens, puis du type de mesures à prendre pour établir des relations avec eux ». Il a été souligné que l’Union européenne jugera sur les actes « allant dans la bonne direction », et pas seulement sur les promesses des nouvelles autorités.
L’ONU et le Royaume-Uni établissent aussi le contact
L’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, arrivé dimanche à Damas, a lui aussi rencontré M. Jolani, insistant sur la nécessité d’une transition « crédible et inclusive ». Le Royaume-Uni a pour sa part indiqué avoir établi des « contacts diplomatiques » avec HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda qui affirme avoir rompu avec le jihadisme mais qui reste classé « terroriste » par plusieurs capitales occidentales.
De leur côté, les États-Unis ont annoncé samedi avoir établi un « contact direct » avec HTS, tandis que la France doit envoyer mardi une mission diplomatique à Damas, une première en 12 ans, pour « établir les premiers contacts » avec le nouveau pouvoir. La Turquie voisine, acteur majeur du conflit et soutien des nouvelles autorités, a quant à elle rouvert son ambassade à Damas samedi.
Des gestes envers les minorités et les ex-forces loyalistes
Après 50 ans de règne sans partage du clan Assad, marqué par une répression implacable, les nouvelles autorités s’emploient à rassurer la communauté internationale. Le Premier ministre de transition a promis de « garantir les droits de tous » dans ce pays multi-ethnique et multi-confessionnel.
À Lattaquié, bastion de la minorité alaouite dont est issu le président déchu, des centaines d’ex-membres des forces gouvernementales se sont présentés dans le calme pour rendre les armes et s’enregistrer auprès des nouvelles autorités. En cas de « crime grave » avéré lors d’enquêtes sur leur passé, ils seront « transférés à la justice ».
Frappes israéliennes sur la côte, dialogue de sourds
Alors que le pays tente de se réorganiser, le voisin israélien a mené dans la nuit de dimanche à lundi d’intenses frappes sur des sites militaires de la région côtière de Tartous, abritant une base navale russe. Il s’agirait des bombardements « les plus lourds depuis 2012 » dans ce secteur selon un observatoire local, Israël affirmant vouloir empêcher l’armement syrien de tomber aux mains d’extrémistes.
Ces actions nuisent gravement aux efforts visant à établir la paix et la stabilité en Syrie
Le ministère turc des Affaires étrangères
L’État hébreu a aussi approuvé un projet visant à doubler la population dans la partie du Golan syrien occupée et annexée, tout en assurant n’avoir « aucun intérêt à entrer en conflit avec la Syrie ». Le gouvernement turc a fustigé des actions « nuisant gravement aux efforts de paix » et appelé la communauté internationale à réagir.
14 ans de guerre civile, un lourd bilan
Le conflit déclenché en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie a fait un demi-million de morts et poussé 6 millions d’habitants à fuir à l’étranger. L’ampleur de la tâche pour reconstruire et réconcilier le pays semble immense.
Alors que les Syriens tentent de « reprendre une vie normale », les nouvelles autorités devront convaincre par des actes concrets de leur volonté d’ouverture et d’apaisement. L’établissement de canaux diplomatiques est un premier pas, mais le chemin vers une stabilisation durable de la Syrie s’annonce encore long et semé d’embûches.