John Mark Dougan, un ancien shérif-adjoint américain qui avait trouvé refuge en Russie pour échapper à des poursuites judiciaires, est devenu le maître d’œuvre d’un vaste réseau de désinformation qui prend pour cible les élections législatives allemandes, à grand renfort d’intelligence artificielle. Selon une enquête menée par l’organisation Newsguard et le média Correctiv, spécialisés dans la lutte contre les fausses nouvelles, Dougan piloterait pour le compte du Kremlin plus d’une centaine de faux sites d’information allemands, alimentés en contenu par des algorithmes d’IA.
Un arsenal de propagande anti-européen et d’extrême-droite
Ce réseau de désinformation, qui avait déjà sévi pendant les élections présidentielles américaines de 2024, recycle aujourd’hui les mêmes recettes en Allemagne. Les faux médias de Dougan relaient massivement des contenus hostiles à l’immigration et à l’Union Européenne, tout en faisant la promotion du parti d’extrême-droite AfD (Alternative pour l’Allemagne). Ils s’attaquent également aux formations politiques favorables à l’Ukraine et à l’OTAN.
Le site « Echo der Zeit », émanation du réseau de l’ex-policier, a ainsi propagé de fausses accusations d’agression sexuelle visant Robert Habeck, leader des Verts allemands et vice-chancelier. Une stratégie en tous points similaire aux attaques mensongères lancées en 2024 contre le candidat démocrate à la vice-présidence américaine Tim Walz. Pour les experts, ces similitudes attestent du mode opératoire de Dougan et de ses commanditaires russes.
L’Allemagne, cible privilégiée des opérations russes
Au-delà de Dougan, l’Allemagne est depuis plusieurs années dans le viseur des stratèges de l’interférence électorale du Kremlin. Déjà en 2017, des piratages et des fuites de données avaient visé des responsables politiques allemands, dont la chancelière Angela Merkel. En 2022, une vaste campagne de désinformation sur les réseaux sociaux avait tenté de discréditer le gouvernement allemand et son soutien à l’Ukraine.
Face à ces menaces, les services de sécurité allemands sont sur le qui-vive. Une task-force gouvernementale a été mise en place pour contrer la désinformation, le sabotage, l’espionnage et les cyberattaques qui pourraient perturber le processus électoral. Reste à savoir si ces mesures suffiront face à des adversaires rusés et polymorphes, capables d’exploiter les dernières avancées technologiques comme l’IA générative pour industrialiser leurs campagnes d’influence.
Le Kremlin mise sur des agents d’influence occidentaux
Le profil atypique de John Mark Dougan illustre une tendance de fond : le recours croissant par la Russie à des ressortissants non-russes pour ses opérations de désinformation. Cette stratégie permet à Moscou de masquer son implication directe. D’après des documents des services secrets européens cités par le Washington Post, l’ex-shérif serait un agent stipendié du renseignement militaire russe (GRU), ce que l’intéressé dément.
En fait, je trouve que le gouvernement russe est plutôt inutile pour quoi que ce soit, c’est une bande de bureaucrates idiots qui ne font jamais rien. Donc, je ne sais pas pourquoi tout le monde pense que je travaille pour eux.
John Mark Dougan, dans un message à NewsGuard
Mais au-delà de ces dénégations, plusieurs médias américains et le collectif anti-désinformation Projet Gnida ont mis en évidence la participation active de l’Américain à des opérations de propagande pilotées par le Kremlin, comme « Storm-1516 ». Pour les chercheurs, Dougan jouerait un rôle moteur dans ce type de campagnes, où sa maîtrise des codes culturels et politiques occidentaux est un atout.
Une influence réelle mais contenue en Allemagne
Malgré les efforts déployés par Dougan et ses commanditaires du GRU, plusieurs analystes estiment que l’impact réel du réseau de désinformation sur les élections allemandes est à relativiser. McKenzie Sadeghi de NewsGuard souligne que les campagnes de l’ex-policier semblent moins efficaces outre-Rhin qu’elles ne l’ont été aux États-Unis en 2024, où ses fake news atteignaient des dizaines de millions de vues.
Le manque apparent de familiarité de Dougan avec les nuances culturelles et politiques allemandes, combiné à un plan d’action qui a été maintes fois dévoilé, a rendu ses campagnes plus faciles à identifier et à rejeter.
McKenzie Sadeghi, analyste chez NewsGuard
Cette analyse montre que malgré les outils sophistiqués comme l’IA utilisés par les propagandistes, une bonne compréhension du contexte local et une vigilance collective restent des remparts essentiels face aux manipulations de l’information. Si les efforts de John Mark Dougan n’ont pas fondamentalement changé la donne, ils prouvent néanmoins que les démocraties font face à une menace diffuse et protéiforme. Elles doivent sans cesse adapter leurs défenses dans ce qui s’apparente désormais à une guerre cognitive globale.