Un drame sanglant a secoué le parlement de l’Abkhazie, une région séparatiste de la Géorgie, ce jeudi. Lors d’une fusillade qui a éclaté dans l’enceinte de l’assemblée à Soukhoumi, la capitale locale, un député a été tué et un autre grièvement blessé. Cette attaque choquante met en lumière les tensions qui agitent cette petite république autoproclamée, prise en étau entre la Géorgie dont elle a fait sécession et la Russie, son principal soutien.
Le député Vakhtang Golandzia abattu en pleine session parlementaire
Selon des sources proches de l’enquête, c’est en pleine séance au parlement abkhaze que les coups de feu ont retenti. Vakhtang Golandzia, un élu local, a été mortellement touché par les tirs. Kan Kvartchia, un autre député présent, a lui aussi été atteint par les balles et grièvement blessé. Il a été transporté d’urgence à l’hôpital dans un état jugé sérieux.
Pour l’heure, les circonstances exactes du drame et l’identité des assaillants restent floues. Les autorités abkhazes, emmené par le dirigeant séparatiste Badra Gounba, n’ont livré que peu de détails. Mais cet acte sanglant, en plein cœur du pouvoir local, illustre le climat de vives tensions politiques qui règne dans cette république autoproclamée.
L’Abkhazie, une région déchirée entre Géorgie et Russie
Coincée entre les montagnes du Caucase et la mer Noire, l’Abkhazie a fait sécession de la Géorgie en 1992, au lendemain de l’effondrement de l’URSS. Après une guerre meurtrière contre Tbilissi, son indépendance a été reconnue par Moscou en 2008, à l’issue d’un nouveau conflit russo-géorgien. Mais la quasi-totalité de la communauté internationale considère toujours l’Abkhazie comme une partie intégrante du territoire géorgien.
L’Abkhazie compte environ 240 000 habitants et sa survie dépend très largement de l’aide économique et militaire de la Russie, qui y maintient des troupes.
Mais cette tutelle de Moscou est de plus en plus mal vécue par une partie de la population locale.
Un accord économique avec la Russie qui passe mal
Fin octobre, la signature d’un accord controversé permettant aux entreprises russes d’investir massivement en Abkhazie a mis le feu aux poudres. Redoutant une mainmise de Moscou sur l’économie et l’immobilier, des manifestants en colère ont investi le parlement le 15 novembre pour empêcher sa ratification.
Face à cette fronde populaire, le dirigeant abkhaze Aslan Bjania a dû démissionner. Son successeur par intérim, Badra Gounba, doit organiser une nouvelle élection présidentielle anticipée pour tenter de sortir de la crise. Mais la fusillade meurtrière de ce jeudi au parlement local montre que les tensions sont loin d’être apaisées dans cette région à la situation toujours explosive.
Grands enjeux géopolitiques et petits arrangements locaux
Au-delà de ses enjeux locaux, le dossier abkhaze revêt une importance stratégique pour la Russie. Moscou y voit un moyen de garder un pied dans le Caucase et de faire pression sur la Géorgie, qui ambitionne un rapprochement avec l’UE et l’OTAN. Autant de menaces pour les intérêts russes dans la région.
Mais le Kremlin doit aussi composer avec les aspirations d’une partie des Abkhazes à plus de souveraineté et d’autonomie, comme l’ont montré les récentes manifestations anti-russes. Un équilibre subtil, entre fermeté et souplesse, que la fusillade au parlement pourrait fragiliser.
Pour Moscou, pas question de perdre le contrôle de l’Abkhazie. Mais sans un minimum d’adhésion de la population locale, la marge de manœuvre russe risque de se réduire.
La question abkhaze illustre toute la complexité de l’influence de la Russie dans son « étranger proche », entre rapports de force et nécessaires compromis.
Le parlement abkhaze, théâtre des luttes de pouvoir
Avec ce députés tué et un autre entre la vie et la mort, le parlement de Soukhoumi se retrouve au cœur de la tourmente politique qui secoue l’Abkhazie. Cette assemblée est depuis des années l’épicentre des luttes de pouvoir et des rivalités entre factions locales.
Pro-russes contre partisans d’une ligne plus indépendante, représentants des différentes régions et communautés ethniques de l’Abkhazie… Les clivages qui traversent la société abkhaze se reflètent avec une acuité particulière au sein du parlement. Une situation qui en fait régulièrement le théâtre de joutes et de coups d’éclat politiques.
La fusillade sanglante de ce jeudi marque cependant une escalade inquiétante. Elle pourrait non seulement radicaliser les positions des différents camps, mais aussi inciter d’autres acteurs à recourir à la violence pour peser dans le débat politique. Une perspective dangereuse pour la stabilité déjà précaire de la république séparatiste.
Plus que jamais, le parlement abkhaze se retrouve en première ligne d’une crise politique multiforme.
Entre intérêts géopolitiques des puissances extérieures et jeux de pouvoir locaux, les députés naviguent en eaux troubles et périlleuses.
Quelle sortie de crise pour l’Abkhazie ?
Face à ces tensions exacerbées, la tenue rapide d’une nouvelle élection présidentielle apparaît plus que jamais nécessaire pour tenter de sortir l’Abkhazie de l’ornière. Mais le climat actuel, entre violences politiques et pressions extérieures, ne semble guère propice à un scrutin apaisé et incontestable.
Au-delà, c’est la question du statut même de l’Abkhazie et de ses relations avec Moscou et Tbilissi qui reste posée. Sans un minimum de consensus interne et un apaisement des ingérences étrangères, cette petite république séparatiste risque de rester durablement une poudrière, aux confins du Caucase.
La tragédie qui a frappé le parlement abkhaze ce jeudi apparaît dès lors comme un douloureux rappel des profondes lignes de fracture qui parcourent la région. Et comme un sombre avertissement des dangers qui guettent en cas d’enlisement de la crise.