Imaginez rentrer chez vous après des vacances, plein de projets pour le dîner en famille, et ne jamais revoir votre fille. C’est la réalité cruelle que vit Lee Hyo-eun depuis exactement un an. Chaque week-end, elle retourne à l’aéroport de Muan, là où tout a basculé.
Un Deuil Qui Ne Guérit Pas
Le 29 décembre 2024, un avion de Jeju Air revenant de Bangkok s’est écrasé à l’atterrissage. Sur les 181 personnes à bord, seules deux hôtesses de l’air ont survécu. 179 vies fauchées en quelques instants. Parmi elles, Ye-won, 24 ans, professeure de violoncelle, pleine de rêves et de talent.
Sa mère, Lee Hyo-eun, se souvient encore de cette soirée où elles devaient se retrouver pour dîner avec la sœur de Ye-won. Au lieu de cela, elle a appris la nouvelle qui brise une vie. Aujourd’hui, entourée des photos de sa fille – y compris celles prises à Bangkok et retrouvées dans le téléphone sorti de l’épave –, elle confie que c’est comme si Ye-won n’était pas encore rentrée de vacances.
Mais le temps n’efface pas la douleur. Il la rend parfois plus aiguë. Lee Hyo-eun retourne sans cesse à l’aéroport, comme pour maintenir un lien avec ce dernier voyage.
Un Lieu De Mémoire Improvisé
L’aéroport international de Muan reste fermé aux vols commerciaux depuis l’accident. Pourtant, il n’a jamais été aussi vivant pour les familles. Au second étage du terminal, dans le hall des départs, des tentes ont été dressées. Des proches y passent des jours, parfois des nuits.
Les murs sont couverts de rubans bleus, de lettres manuscrites, de photos. Des banderoles proclament des messages forts : « Un pays incapable de protéger ses ressortissants n’en est pas un. Nous exigeons des réponses ! »
Chaque week-end, une vingtaine de personnes reviennent. Elles partagent leur chagrin, leurs souvenirs, mais aussi leur colère. Car au-delà du deuil, il y a la conviction que cette tragédie aurait pu être évitée.
« Les premiers jours, je pensais que je rêvais. Une année a passé et je ne me rappelle plus de la date précise des funérailles de ma femme. »
Park In-wook, qui a perdu son épouse, sa fille, son gendre et ses deux petits-enfants
Park In-wook, 70 ans, est devenu malgré lui une figure de ce combat. Il a perdu cinq membres de sa famille dans le crash. Il se définit lui-même comme « le plus connu » parmi les endeuillés, tant il parle aux médias pour porter la voix des autres.
Son témoignage glace le sang. Comment reconstruire une vie quand toute une branche familiale disparaît en un instant ?
Ce Qui S’est Passé Ce Soir-Là
Le Boeing 737-800 de Jeju Air transportait 181 passagers et membres d’équipage. L’avion a atterri sur le ventre – le train d’atterrissage ne s’était pas déployé. Il a ensuite glissé sur la piste avant de percuter violemment un mur en béton situé en bout de piste. L’appareil a pris feu immédiatement.
Seules deux personnes assises à l’arrière ont survécu : une hôtesse et un steward. Tous les autres ont péri.
Un rapport préliminaire publié en juillet a avancé une explication. Un oiseau aurait heurté le moteur droit, causant des dommages. Puis, dans la panique, le pilote aurait coupé par erreur le moteur gauche, privant l’avion de toute puissance.
Cette conclusion a été vivement critiquée par les familles et par le syndicat des pilotes. Ils estiment qu’elle met trop l’accent sur une supposée erreur humaine, sans explorer toutes les autres causes possibles.
Le Mur En Béton, Symbole Des Failles
Au cœur de la colère des familles : ce mur en béton armé érigé en bout de piste. Selon elles, il viole toutes les normes internationales de sécurité aérienne. En cas de sortie de piste, les avions doivent pouvoir franchir une zone de sécurité sans obstacle mortel.
Lee Hyo-eun est convaincue que sans ce mur, l’issue aurait été radicalement différente.
« Ils ont réussi contre toute attente à faire atterrir l’avion sur le ventre, tous avaient alors encore la vie sauve, mais ils n’ont pas imaginé qu’ils avaient un mur en béton devant eux. Tout le monde aurait pu s’en tirer avec quelques blessures. »
Lee Hyo-eun
Après l’accident, une inspection nationale a révélé que six autres aéroports présentaient le même problème. Cinq d’entre eux ont depuis remplacé leur mur par des matériaux friables, conçus pour se briser en cas d’impact. Mais à Muan, le mur en béton est toujours là.
Pour Ko Jae-seung, 43 ans, qui a perdu ses deux parents, cette différence de traitement est révélatrice. Le gouvernement semble vouloir minimiser les responsabilités structurelles.
Une Enquête Contestée
Le rapport final est attendu pour juin prochain. Mais déjà, le rapport préliminaire soulève des doutes. Les familles reprochent la manière dont l’enquête a été menée. Elles estiment qu’elle cherche à pointer du doigt les pilotes plutôt qu’à comprendre l’enchaînement des facteurs.
Ko Jae-seung le dit clairement :
« Le gouvernement tente de réduire l’accident à une erreur de pilotage alors qu’une enquête officielle n’est pas censée pointer de responsabilités individuelles mais examiner toutes les circonstances qui l’ont rendu inévitable. »
La possibilité d’un défaut du train d’atterrissage est évoquée, mais reléguée au second plan. Pourtant, c’est ce dysfonctionnement qui a forcé l’atterrissage sans roues.
Les familles défendent aussi les pilotes. Elles soulignent le défi immense que représentait un atterrissage sur le ventre. Sans ce mur fatal, l’avion aurait peut-être ralenti dans la zone de sécurité.
Un Combat Pour La Mémoire Et La Vérité
Ce qui frappe dans cette histoire, c’est la détermination des familles. Malgré la douleur, elles refusent l’oubli. Elles occupent l’aéroport, organisent des rassemblements, parlent aux médias.
Elles veulent que cette catastrophe serve de leçon. Que plus jamais un mur illégal ne transforme une erreur technique en carnage. Que les enquêtes soient transparentes et exhaustives.
Pour Lee Hyo-eun, revenir à Muan est une façon de garder Ye-won près d’elle. De transformer le lieu du drame en espace de souvenir. Mais c’est aussi un acte militant.
Pour Park In-wook, c’est une question de dignité. Perdre cinq proches et voir les autorités minimiser les failles structurelles est insupportable.
Pour Ko Jae-seung, c’est une quête de justice pour ses parents disparus.
Ils ne demandent pas la vengeance. Ils demandent la vérité. Une vérité complète, qui prenne en compte tous les éléments : l’oiseau, les moteurs, le train d’atterrissage, les décisions en cockpit, et surtout, ce mur en béton qui n’aurait jamais dû être là.
Un an après, le deuil est toujours vif. Les questions restent entières. Les familles continuent leur veille à l’aéroport de Muan, sous les rubans bleus et les messages d’amour.
Elles attendent le rapport final. Elles attendent des changements concrets dans la sécurité aérienne. Elles attendent que la mémoire de leurs proches pousse les autorités à agir.
Parce qu’une catastrophe comme celle-ci ne devrait jamais se répéter. Et parce que 179 vies méritent plus qu’une explication rapide.
Dans le silence du terminal désert, leurs voix résonnent encore. Elles exigent des réponses. Et elles ne partiront pas tant qu’elles ne les auront pas obtenues.
Cette histoire nous rappelle la fragilité de la vie. Un voyage qui devait être joyeux se transforme en cauchemar. Des familles entières brisées. Un pays confronté à ses propres failles.
Mais elle montre aussi la force du souvenir. La résilience de ceux qui restent. La nécessité de ne jamais baisser les bras face à l’injustice.
Un an après, Muan reste un lieu de douleur. Mais aussi un lieu d’espoir. L’espoir que la vérité finisse par éclater. Et que la sécurité aérienne en sorte renforcée.
Pour Ye-won, pour les petits-enfants de Park In-wook, pour les parents de Ko Jae-seung, et pour toutes les autres victimes. Leur mémoire vit dans ce combat quotidien.
Et tant que les familles seront là, sous leurs tentes, avec leurs rubans bleus, cette mémoire ne s’éteindra pas.









