Imaginez une chanson, une simple mélodie portée par des paroles poétiques, capable de secouer un gouvernement tout entier. En Turquie, cette réalité frappe de plein fouet Mabel Matiz, un chanteur populaire dont le dernier titre, Perperisan, a déclenché une tempête judiciaire. Accusé d’ »obscénité » pour avoir chanté une histoire d’amour entre deux hommes, l’artiste se retrouve au cœur d’une polémique qui dépasse la musique : elle touche à la liberté d’expression, aux droits des minorités et à la censure grandissante dans un pays sous l’emprise d’un pouvoir conservateur. Comment une chanson peut-elle devenir une menace pour l’ordre public ? Plongeons dans cette affaire qui révèle les tensions profondes de la société turque.
Une Chanson au Cœur de la Controverse
Sortie le 5 septembre 2025, la chanson Perperisan (« Épuisé » en turc) de Mabel Matiz a immédiatement attiré l’attention. Avec ses paroles métaphoriques évoquant un amour interdit, elle a séduit les fans par son audace et sa sensibilité. Mais pour le gouvernement turc, dirigé par Recep Tayyip Erdogan, ces mots sont une provocation. Le refrain, avec des vers comme « Je souhaite être mise à nu et placée sur un oreiller avec lui », a été jugé obscène par les autorités, qui y voient une menace pour les valeurs traditionnelles.
Le ministère de l’Intérieur a déposé une plainte contre l’artiste, l’accusant de violer le code pénal turc pour avoir exposé des mineurs à des contenus jugés inappropriés. Mabel Matiz, ouvertement homosexuel, risque désormais une peine de six mois à deux ans de prison. Cette affaire n’est pas isolée : elle s’inscrit dans une vague de répression contre les artistes et les voix dissidentes en Turquie.
Un Contexte de Censure Croissante
La Turquie d’Erdogan n’est pas étrangère aux controverses judiciaires visant les artistes. Ces dernières années, le gouvernement a multiplié les enquêtes et les sanctions contre ceux qui osent défier les normes conservatrices. Par exemple, le groupe musical Manifest a récemment été visé pour des « actes obscènes », tandis qu’une scénariste de la série télévisée Kizilcik Serbeti a été brièvement détenue pour des propos qualifiés d’ »incitation à la prostitution ». Ces cas illustrent une volonté claire : imposer un contrôle strict sur la culture et l’expression artistique.
Le pouvoir politique utilise la censure et l’oppression pour imposer son propre mode de vie. Il tente de réduire au silence les voix des femmes, des personnes LGBTQ+, des artistes et des dissidents.
ONG de défense des droits des femmes
Ce climat de répression s’inscrit dans une vision plus large portée par le président Erdogan, qui a proclamé 2025 comme l’ »Année de la famille ». Cette initiative, accompagnée d’une « Décennie de la famille » annoncée en mai, vise à promouvoir des valeurs traditionnelles et à contrer la dénatalité. Mais elle sert aussi de prétexte pour cibler les minorités, notamment la communauté LGBTQ+, régulièrement stigmatisée par le chef de l’État.
Mabel Matiz : Une Voix qui Résiste
Mabel Matiz, âgé de 40 ans, n’est pas un inconnu en Turquie. Récompensé à de multiples reprises, il s’est imposé comme une figure majeure de la scène musicale grâce à son style unique, mêlant pop moderne et influences traditionnelles. Dans Perperisan, il reste fidèle à son approche : des paroles poétiques, riches en métaphores, qui racontent une histoire d’amour universelle. Sur les réseaux sociaux, il a défendu son œuvre avec calme mais fermeté :
Cette chanson, inspirée des traditions populaires, raconte une histoire d’amour par métaphores. Elle a un style narratif malicieux que mes auditeurs connaissent bien.
Mabel Matiz, sur X
Il a également exprimé son espoir que l’ordre public ne soit pas « si fragile » au point d’être ébranlé par une simple chanson. Pourtant, les accusations portées contre lui montrent à quel point le pouvoir perçoit l’art comme une menace. Des médias proches du gouvernement l’ont qualifié de « missionnaire LGBT », tandis que sa chanson a été décrite comme « écœurante ». Ces attaques soulignent une volonté de discréditer non seulement l’artiste, mais aussi les idées qu’il représente.
La Musique Face à la Censure
Le ministère de la Famille a tenté de faire interdire Perperisan sur des plateformes comme YouTube, Spotify et Apple Music. Pour l’instant, ces services n’ont pas appliqué cette interdiction, selon l’ONG Engelliweb, qui défend les droits numériques. Cette résistance des plateformes montre que la bataille pour la liberté d’expression se joue aussi dans l’espace numérique, où la musique reste accessible à des millions d’auditeurs.
Quelques faits clés sur la censure en Turquie :
- Multiplication des enquêtes judiciaires contre les artistes depuis 2020.
- Le RTÜK, organisme de régulation audiovisuelle, sanctionne régulièrement les contenus jugés « immoraux ».
- La Turquie se classe 149e sur 180 dans l’index mondial de la liberté de la presse.
La censure ne se limite pas à la musique. Les séries télévisées, les films et même les réseaux sociaux sont sous surveillance. Le cas de Kizilcik Serbeti, où le scénario a dû être modifié après une enquête administrative, montre comment le pouvoir s’immisce dans la création artistique pour imposer sa vision morale.
L’Homosexualité dans le Viseur
Bien que l’homosexualité ne soit pas illégale en Turquie, elle est régulièrement stigmatisée par les autorités. Erdogan n’a jamais caché son hostilité envers la communauté LGBTQ+, qu’il qualifie de « perversion ». Cette rhétorique s’est intensifiée avec la promotion des « valeurs familiales », un concept vague mais omniprésent dans le discours officiel. Les artistes comme Mabel Matiz, qui osent aborder des thèmes liés à l’homosexualité, deviennent des cibles privilégiées.
Pourtant, la société turque n’est pas monolithique. De nombreux fans de Mabel Matiz, ainsi que des militants des droits humains, soutiennent l’artiste sur les réseaux sociaux. Ils dénoncent une tentative de museler les voix progressistes et de réduire la diversité culturelle du pays. Cette polarisation reflète un clivage plus large entre une jeunesse urbaine, souvent plus ouverte, et un pouvoir conservateur.
Un Enjeu Plus Large : La Liberté d’Expression
L’affaire Mabel Matiz dépasse le cadre d’une simple chanson. Elle pose la question de la place de l’art dans une société où la censure s’intensifie. En ciblant les artistes, le gouvernement cherche à contrôler le récit culturel et à marginaliser les minorités. Mais cette stratégie pourrait avoir l’effet inverse : en donnant une tribune à des figures comme Matiz, elle met en lumière les injustices et galvanise la résistance.
Les organisations de défense des droits humains, comme l’ONG Nous allons arrêter les féminicides, rappellent que cette répression touche aussi les femmes, les dissidents politiques et les minorités ethniques. La musique, le cinéma et la littérature deviennent des champs de bataille où se joue la lutte pour la liberté d’expression.
| Artiste/Série | Accusation | Conséquences |
|---|---|---|
| Mabel Matiz | Obscénité | Plainte pénale, risque de prison |
| Groupe Manifest | Actes obscènes | Enquête judiciaire |
| Kizilcik Serbeti | Incitation à la prostitution | Détention de la scénariste, révision du scénario |
Vers une Résistance Culturelle ?
Face à cette vague de censure, les artistes turcs ne restent pas silencieux. Mabel Matiz, par exemple, utilise les réseaux sociaux pour défendre son art et rallier ses fans. Cette mobilisation montre que la musique peut être un outil de résistance, capable de transcender les barrières imposées par le pouvoir. Les paroles de Perperisan, bien que métaphoriques, portent un message universel : l’amour, sous toutes ses formes, mérite d’être célébré.
Les plateformes numériques jouent également un rôle clé. En refusant pour l’instant de retirer la chanson, elles permettent à l’œuvre de Matiz de continuer à toucher un large public. Cette bataille pour l’accès à la culture pourrait redéfinir les contours de la liberté d’expression en Turquie.
Que Nous Dit Cette Affaire ?
L’affaire Mabel Matiz est un miroir des tensions qui traversent la Turquie contemporaine. D’un côté, un pouvoir qui cherche à imposer une vision conservatrice, de l’autre, une société diverse qui refuse de se taire. Les artistes, en première ligne, payent souvent le prix de cette lutte, mais ils incarnent aussi l’espoir d’un changement.
En fin de compte, une chanson peut-elle vraiment menacer l’ordre public ? Ou est-ce la peur du changement qui pousse les autorités à brandir la censure ? Une chose est sûre : tant que des voix comme celle de Mabel Matiz continueront de s’élever, la lutte pour la liberté d’expression restera bien vivante.









