En Tunisie, un vent d’inquiétude souffle sur la société civile. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une organisation reconnue pour son engagement dans les luttes migratoires et environnementales, vient d’être suspendu pour un mois par les autorités. Cette décision, annoncée le 27 octobre 2025, s’inscrit dans une vague de restrictions touchant plusieurs ONG indépendantes, comme l’Association tunisienne des femmes démocrates, également mise en pause récemment. Que révèle cette mesure sur l’état des libertés en Tunisie, et quelles en sont les implications pour l’avenir des droits humains dans le pays ?
Une vague de répression contre la société civile
Depuis plusieurs années, la Tunisie, berceau du Printemps arabe, fait face à des tensions croissantes entre le pouvoir et les acteurs de la société civile. La suspension du FTDES, une organisation active depuis 2011, marque un tournant dans cette dynamique. Cette mesure, officialisée par une lettre des autorités, intervient dans un contexte où d’autres organisations, comme l’Association des femmes démocrates, subissent des restrictions similaires. Ces décisions soulèvent des questions sur la volonté du gouvernement de limiter l’espace d’expression des voix indépendantes.
Le FTDES, connu pour son travail sur des enjeux cruciaux comme la traite des migrants et la pollution environnementale, affirme avoir respecté toutes les obligations légales. Pourtant, l’organisation fait l’objet d’audits financiers et fiscaux depuis avril 2025. Cette pression administrative, couplée à la suspension, semble indiquer une stratégie plus large visant à contrôler les acteurs de la société civile.
Un contexte de contrôle renforcé
Depuis l’été 2021, lorsque le président Kais Saied s’est arrogé les pleins pouvoirs, la Tunisie connaît une régression des libertés fondamentales. Ce coup de force, perçu par beaucoup comme un retour en arrière par rapport aux acquis de la révolution de 2011, a été suivi par des mesures restrictives contre les médias, les partis politiques et les ONG. La suspension du FTDES s’inscrit dans cette logique, marquée par une volonté de réduire l’influence des organisations indépendantes.
« Cette suspension est un nouvel épisode de la restriction de l’espace civil indépendant et une tentative flagrante de soumettre les voix libres », déclare le FTDES dans un communiqué.
Cette déclaration reflète l’inquiétude croissante des acteurs de la société civile face à ce qu’ils perçoivent comme une répression ciblée. D’autres organisations, comme celles enquêtant sur la corruption ou les droits humains, font également l’objet d’investigations sur leurs financements étrangers, un prétexte souvent utilisé pour justifier des sanctions.
Les ONG dans le viseur : un schéma récurrent
Le FTDES n’est pas un cas isolé. Récemment, plusieurs organisations de la société civile, y compris des médias indépendants, ont été visées par des enquêtes judiciaires. Ces investigations, souvent centrées sur les financements étrangers, ont conduit à des mesures drastiques :
- Dissolution de 47 associations en quelques mois.
- Gel des avoirs de 36 autres organisations.
- Suspension d’activités pour des ONG phares comme le FTDES.
Ces actions traduisent une méfiance croissante des autorités envers les organisations perçues comme des contre-pouvoirs. Le FTDES, par exemple, est un acteur clé dans la défense des droits des migrants subsahariens et des travailleuses agricoles, des groupes souvent marginalisés. En limitant son action, le gouvernement risque de fragiliser davantage ces populations vulnérables.
Le FTDES : un pilier de la société civile
Fondé dans le sillage de la révolution de 2011, le FTDES s’est imposé comme une voix essentielle en Tunisie. L’organisation s’est distinguée par son travail rigoureux de collecte de données et par ses mobilisations sur des questions sociales brûlantes. Parmi ses domaines d’action, on trouve :
- La lutte contre la traite des migrants, notamment ceux en provenance d’Afrique subsaharienne.
- La défense des droits des travailleuses agricoles, souvent confrontées à des conditions précaires.
- La sensibilisation aux enjeux environnementaux, comme la pollution dans les zones industrielles.
Ces initiatives, menées avec un engagement constant pour la justice sociale, ont valu au FTDES une reconnaissance nationale et internationale. Pourtant, cette visibilité semble aujourd’hui se retourner contre l’organisation, perçue comme une menace par les autorités.
L’Association des femmes démocrates : une autre victime
Quelques jours avant la suspension du FTDES, l’Association tunisienne des femmes démocrates, créée en 1989, a également été frappée par une mesure similaire. Cette organisation féministe, pionnière dans la lutte pour la démocratie et contre la dictature de Zine El Abidine Ben Ali, a joué un rôle clé dans l’histoire récente de la Tunisie. Sa suspension, comme celle du FTDES, est vue comme une tentative de museler les voix progressistes.
Ces deux cas illustrent un schéma plus large : les organisations qui défendent des valeurs de liberté et de dignité sont particulièrement visées. En limitant leur capacité d’action, le gouvernement cherche-t-il à consolider son contrôle sur le débat public ?
Les conséquences pour les droits humains
La suspension d’ONG comme le FTDES a des répercussions profondes sur les droits humains en Tunisie. En l’absence de ces acteurs, qui jouent un rôle de veille et de plaidoyer, les populations vulnérables risquent de voir leurs conditions se dégrader. Par exemple :
| Population | Problématique | Impact de la suspension |
|---|---|---|
| Migrants subsahariens | Traite et exploitation | Moins de sensibilisation et de protection |
| Travailleuses agricoles | Conditions de travail précaires | Réduction des actions de plaidoyer |
| Communautés locales | Pollution environnementale | Moins de mobilisations pour la justice écologique |
Ces restrictions risquent également de décourager les militants et de freiner l’engagement citoyen, un pilier de la démocratie tunisienne naissante. Alors que le pays célèbre encore les acquis de la révolution de 2011, ces mesures jettent une ombre sur son avenir.
Une résistance face à l’arbitraire
Malgré la suspension, le FTDES a réaffirmé son engagement envers les luttes sociales et les droits humains. Dans son communiqué, l’organisation qualifie la décision d’arbitraire mais promet de la respecter, tout en continuant à défendre ses valeurs. Cette résilience témoigne de la détermination des acteurs de la société civile à ne pas céder face aux pressions.
« Nous réitérons notre soutien constant à toutes les luttes sociales, civiles et des droits humains dans notre pays », affirme le FTDES.
Cette posture illustre une réalité : en Tunisie, la société civile reste un bastion de résistance. Même sous pression, des organisations comme le FTDES continuent de porter les espoirs d’une société plus juste, héritage direct de la révolution de 2011.
Quel avenir pour la société civile tunisienne ?
La suspension d’ONG comme le FTDES et l’Association des femmes démocrates soulève des questions cruciales sur l’avenir de la démocratie en Tunisie. Alors que le pays se prépare à des échéances électorales et à des défis socio-économiques majeurs, le rôle des organisations indépendantes est plus vital que jamais. Leur capacité à mobiliser, informer et défendre les droits humains est essentielle pour maintenir un équilibre démocratique.
Pourtant, les restrictions actuelles pourraient avoir un effet dissuasif sur d’autres acteurs de la société civile. Si cette tendance se confirme, la Tunisie risque de perdre l’un des acquis les plus précieux de sa révolution : un espace civil dynamique et indépendant.
En conclusion, la suspension du FTDES et d’autres ONG envoie un signal alarmant. Elle reflète une volonté de contrôler les voix dissidentes, mais elle met aussi en lumière la résilience de ceux qui continuent à se battre pour la justice et la dignité. Alors que la Tunisie navigue dans cette période incertaine, l’avenir des libertés civiles dépendra de la capacité de la société civile à résister et à se réinventer face à ces défis.









