Imaginez vivre dans une ville où l’air que vous respirez chaque jour empoisonne lentement votre famille. À Gabès, dans le sud de la Tunisie, cette réalité pousse des milliers d’habitants à crier leur ras-le-bol. Mercredi dernier, une manifestation impressionnante a secoué les rues, réclamant le démantèlement d’un complexe industriel responsable de pollutions répétées.
Une Colère qui Monte depuis des Années
Cette mobilisation n’est pas née d’un jour à l’autre. Elle couve depuis plus d’une décennie, alimentée par des promesses non tenues et des impacts visibles sur l’environnement et la santé. Les résidents dénoncent un site qui déverse ses déchets gazeux et solides directement dans la nature, transformant plages et mers en zones sinistrées.
Le collectif à l’origine de cet appel, regroupant citoyens et activistes, a su rassembler une foule grandissante. Partis de 2 000 personnes au centre-ville, les manifestants ont vite atteint plusieurs milliers, avançant derrière des motos klaxonnantes vers l’usine géante.
Les Événements du Jour: Tension et Dispersion
Le cortège s’est dirigé droit vers les installations du Groupe chimique tunisien, une entreprise publique spécialisée dans les fertilisants à base de phosphates. À proximité, les forces de l’ordre ont réagi avec fermeté, utilisant des quantités massives de gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
Cette fumée âcre a provoqué un chaos immédiat. Des centaines de personnes ont reculé, toussant et les yeux larmoyants, tandis que des groupes de jeunes persistaient, exprimant leur fureur par des slogans incessants. Plusieurs individus ont même perdu connaissance sur place, ajoutant à la dramaturgie de la scène.
Nous voulons respirer.
Ce cri, scandé par des familles entières incluant des enfants, résume l’essentiel de la revendication. Les pancartes brandies portaient des messages forts comme « Gabès sans oxygène » ou « Stop génocide », enveloppés dans des drapeaux nationaux ou des fanions jaunes ornés de têtes de mort.
La réponse policière, bien que attendue dans ce contexte tendu, a souligné le fossé entre les autorités et la population locale. Des sources sur place ont confirmé l’ampleur de l’intervention, qui a transformé une marche pacifique en affrontement gazeux.
Les Intoxications Récentes: Un Déclencheur Inquiétant
Cette manifestation survient juste après une série d’incidents sanitaires alarmants. La veille, la Protection civile a pris en charge des dizaines d’élèves et de riverains souffrant de malaises graves, attribués directement aux émissions de l’usine.
Selon des données locales fiables, pas moins de 122 personnes ont nécessité des soins ou une hospitalisation lors de cet épisode. Il s’agit du troisième cas similaire depuis le début septembre, avec une vingtaine d’hospitalisations le 9 et une cinquantaine le 10 octobre.
- Premier incident: 9 septembre, une vingtaine de victimes.
- Deuxième: 10 octobre, une cinquantaine affectée.
- Troisième: la veille de la manif, 122 cas traités.
Ces chiffres, issus de responsables ayant accès aux rapports, illustrent une escalation préoccupante. Les malaises, incluant étourdissements et difficultés respiratoires, sont liés à la production d’engrais qui implique l’utilisation d’acide sulfurique et d’ammoniac.
Un dirigeant syndical régional pointe du doigt des équipements vétustes, causant des fuites de gaz récurrentes. Ce manque d’entretien transforme l’usine en menace permanente pour les alentours.
Témoignages Poignants des Habitants
Au cœur de la foule, des histoires personnelles touchantes émergent. Prenons Lamia Ben Mohamed, 52 ans, qui confie son calvaire familial face à cette pollution incessante.
Il y en a marre, il faut que ça s’arrête. Mes trois enfants et moi sommes asthmatiques, mon mari et ma mère sont morts d’un cancer à cause de ce groupe chimique.
Son témoignage résonne comme un appel désespéré. Elle incarne des milliers de familles touchées par des maladies respiratoires et des cancers à un taux anormalement élevé dans la région.
Marwa Salah, 33 ans et cardiologue à l’hôpital local, exprime aussi sa frustration. Pour elle, cette usine n’a apporté que des nuisances à une ville de 400 000 habitants.
Je veux vivre sans la pollution du complexe qui ne nous a rien apporté. La réponse dépend du gouvernement et du pouvoir.
Ces voix individuelles humanisent le conflit, montrant comment la pollution infiltre chaque aspect de la vie quotidienne. Des plages jonchées de résidus à l’effondrement de la pêche locale, les conséquences économiques s’ajoutent aux sanitaires.
Un Conflit Environnemental de Longue Date
Depuis plus de dix ans, les habitants alertent sur ces dégradations. Le complexe, inauguré il y a 53 ans, déverse ses résidus sans retenue, affectant air, eau et sol. Les plages, autrefois attractives, sont maintenant des dépotoirs toxiques.
La pêche, pilier économique, a chuté drastiquement. Les pêcheurs rapportent des prises contaminées, rendant leur métier inviable. Cette pollution visible a amplifié les problèmes de santé, avec une incidence accrue de pathologies graves.
- Problèmes respiratoires chroniques chez les enfants et adultes.
- Augmentation des cas de cancers liés aux toxines.
- Contamination des eaux côtières impactant la biodiversité.
- Effondrement des activités touristiques potentielles.
Ces éléments cumulés expliquent la mobilisation massive. Les habitants ne demandent pas des réparations mineures, mais un démantèlement complet des unités polluantes.
Le slogan « Le peuple veut le démantèlement des unités polluantes » a résonné dans les rues, porté par une unité rare. Cette décennie de luttes a forgé une résilience collective, prête à affronter les gaz pour un avenir plus sain.
La Position Ambiguë de l’État Tunisien
Le gouvernement se trouve dans une position délicate. Récemment, le président a critiqué le manque d’entretien et envoyé une équipe ministérielle pour évaluer et agir en urgence.
Cette délégation des ministères de l’Industrie et de l’Environnement vise à « faire le nécessaire ». Pourtant, des experts doutent de la faisabilité d’un assainissement pour une installation aussi ancienne.
Une promesse de fermeture datant de 2017 reste lettre morte. Au contraire, des ordres présidentiels poussent à relancer la production de phosphates, ressource clé du pays.
L’objectif: multiplier par cinq la production d’engrais à 14 millions de tonnes annuelles d’ici 2030, profitant des prix mondiaux élevés. Cette stratégie économique entre en collision directe avec les demandes locales.
Le complexe nous tue sous le regard de l’État.
Cette phrase sur les pancartes capture l’essence du reproche. L’État, propriétaire du groupe, priorise-t-il l’économie sur la santé publique ? Cette dichotomie alimente la colère et les débats.
Les Enjeux Techniques de la Production
Comprendre le fonctionnement du site aide à saisir les risques. La fabrication d’engrais repose sur le traitement des phosphates avec des substances agressives comme l’acide sulfurique et l’ammoniac.
Ces processus génèrent des gaz toxiques et des résidus solides. Avec des équipements datant de plus d’un demi-siècle, les fuites deviennent inévitables sans investissements massifs.
Le syndicat local insiste sur ce point: la vétusté cause les intoxications récentes. Des réparations ponctuelles ne suffisent pas ; une refonte totale s’impose, ou mieux, une relocation loin des zones habitées.
Cette technologie obsolète contraste avec les standards modernes de l’industrie chimique. Dans d’autres pays, des filtres avancés et des sites isolés minimisent les impacts. À Gabès, l’absence de ces mesures expose directement la population.
- Traitement acide générant des émissions gazeuses.
- Déchets solides polluant les sols et mers.
- Fuites dues à l’usure des installations.
- Besoin urgent de modernisation ou fermeture.
Ces aspects techniques soulignent pourquoi les incidents se multiplient. Sans intervention radicale, les vagues d’intoxications risquent de se répéter, menaçant des générations entières.
Impacts Sanitaires Profonds sur la Population
Les conséquences sur la santé ne sont pas anodines. Outre les malaises aigus, des effets chroniques se manifestent. Asthme, cancers, troubles cardiaques: la liste s’allonge chez les riverains.
Comme le témoigne la cardiologue locale, l’hôpital régional traite quotidiennement ces cas. Les enfants, particulièrement vulnérables, paient le prix fort avec des absences scolaires dues à des crises respiratoires.
Des études implicites dans les plaintes locales montrent une incidence anormale de maladies. Respiratoires chez les jeunes, oncologiques chez les adultes: un lien direct avec les polluants est soupçonné.
Cette crise sanitaire locale pourrait avoir des répercussions nationales si ignorée. Mobiliser des ressources médicales pour ces urgences draine les systèmes déjà fragiles.
Les familles comme celle de Lamia illustrent ce drame humain. Perdre des proches au cancer attribué à l’usine laisse des cicatrices indélébiles, fuelant la détermination des manifestants.
Perspectives et Défis Futurs
Face à cette impasse, quelles solutions émergent ? Le démantèlement réclamé impliquerait des pertes d’emplois, mais aussi une opportunité de reconversion verte.
Les experts sceptiques sur l’assainissement plaident pour une fermeture progressive. Relocaliser la production préserverait l’économie phosphatée sans sacrifier Gabès.
La mobilisation unitaire, saluée par la cardiologue, montre une société civile active. Cette unité pourrait peser sur les décisions gouvernementales, surtout avec les enjeux économiques des phosphates.
À court terme, des mesures d’urgence comme des monitors d’air ou des évacuations temporaires s’imposent. À long terme, équilibrer richesse nationale et santé publique reste le défi majeur.
Cette affaire à Gabès symbolise des luttes environnementales globales. En Tunisie, elle teste la capacité de l’État à prioriser ses citoyens sur les intérêts industriels.
Les prochaines semaines diront si l’envoi ministériel mène à des actions concrètes. Pour l’instant, la population reste vigilante, prête à redescendre dans la rue.
Épisode | Date | Victimes |
---|---|---|
Premier | 9 septembre | 20 |
Deuxième | 10 octobre | 50 |
Troisième | Veille manif | 122 |
Ce tableau résume les intoxications, soulignant l’urgence. Espérons que ces chiffres poussent à un changement réel.
En conclusion, la bataille de Gabès pour un air pur continue. Elle incarne un combat pour la dignité et la survie, où chaque respiration compte.
Suivre cette actualité, c’est comprendre les tensions entre développement et environnement en Tunisie. Les habitants méritent des réponses rapides et durables.
Pour approfondir, notons que les phosphates représentent une part vitale des exportations tunisiennes. Relancer leur production sans polluer demande innovation et volonté politique.
Les jeunes manifestants, restés malgré les gaz, symbolisent l’espoir d’un avenir différent. Leur persistance pourrait inspirer d’autres régions faces à des pollueurs similaires.
Enfin, cette histoire rappelle que derrière les statistiques se cachent des vies brisées. Soutenir ces voix, c’est plaider pour une industrie responsable partout.