Imaginez-vous dans une boutique animée près de Tunis, prêt à acheter un nouveau téléphone ou un réfrigérateur, mais incapable de le faire comme avant. Depuis février, une réforme inattendue a bouleversé les habitudes des Tunisiens : les chèques postdatés, ce sésame pour échelonner les paiements, ne sont plus une option. Cette mesure, censée assainir le climat des affaires, pourrait paradoxalement étouffer la consommation et fragiliser une économie déjà vacillante.
Une Réforme Qui Change la Donne
En Tunisie, pays où le salaire moyen plafonne à environ 300 euros, les cartes de crédit restent rares. Pendant des années, les chèques postdatés ont servi de bouée de sauvetage pour les foyers modestes, permettant d’acheter des biens coûteux en plusieurs fois. Mais depuis le 2 février, tout a changé. D’après une source proche du dossier, cette loi vise à renforcer la confiance dans les transactions par chèque. Pourtant, elle semble semer plus de confusion que de solutions.
Adieu aux Chèques Postdatés : Les Nouvelles Règles
Le texte introduit des changements radicaux. Désormais, les chèques sans provision inférieurs à 1 500 euros échappent aux poursuites pénales – une bonne nouvelle pour certains. Mais pour les montants plus élevés, les sanctions, bien que réduites, restent dissuasives. Surtout, la pratique des chèques postdatés, autrefois tolérée, est révolue. Chaque chèque doit respecter un plafond fixé par la banque, basé sur les revenus du client.
Et ce n’est pas tout : une procédure lourde encadre désormais chaque transaction. Le commerçant doit scanner un code QR via une plateforme dédiée pour vérifier la solvabilité de l’acheteur. La banque envoie ensuite un code par SMS au client, qui le transmet au vendeur. Simple sur le papier, mais dans la réalité ? Un casse-tête pour beaucoup.
« Cette loi complique tout. On perd du temps, et les clients s’en vont. »
– Une commerçante de la banlieue de Tunis
Un Impact Immédiat sur le Commerce
Dans les rues de Tunis, les effets se font déjà sentir. Une propriétaire de magasin de téléphonie dans le quartier de l’Ariana confie avoir vu ses ventes chuter de plus de 50 % depuis l’entrée en vigueur de la réforme. « On n’accepte plus les chèques, trop risqué », explique-t-elle. Résultat : seuls les clients avec du liquide sont les bienvenus, limitant drastiquement le chiffre d’affaires.
Les petites et moyennes entreprises, piliers de l’économie tunisienne, sont particulièrement touchées. Gérer plusieurs transactions avec cette nouvelle procédure prend du temps et décourage les acheteurs. Pendant le ramadan, période traditionnellement faste pour la consommation, le pouvoir d’achat a pris un coup, selon un économiste interrogé par une source fiable.
La Classe Moyenne en Première Ligne
Avec un chômage à 16 % et une inflation autour de 6 %, la classe moyenne tunisienne est déjà sous pression. Cette réforme ne fait qu’aggraver la situation. Une cliente de 43 ans, frustrée devant une boutique, raconte son désarroi : impossible de trouver une alternative pour payer son téléphone en plusieurs fois. Pour beaucoup, cette loi rime avec perte d’autonomie financière.
Les experts s’accordent à dire que cette mesure fragilise un groupe essentiel à la stabilité sociale et économique. « La classe moyenne se rétrécit à vue d’œil », alerte un analyste économique. Sans elle, c’est tout l’équilibre du pays qui vacille.
Les Librairies, Symbole d’une Économie en Péril
Prenez l’exemple d’une librairie emblématique de Tunis, en activité depuis des décennies. Son gérant explique que ses clients – enseignants, chercheurs, étudiants – peinent à obtenir des chéquiers, les banques étant devenues plus strictes. La plateforme numérique, censée faciliter les paiements, est souvent hors service ou trop complexe à utiliser. « Cette loi pourrait être notre arrêt de mort », confie-t-il avec amertume.
Pour ce commerçant, la hausse du prix des livres ces dernières années avait déjà réduit sa clientèle. Aujourd’hui, la fin des paiements échelonnés achève de décourager les acheteurs. Une situation qui illustre à quel point cette réforme, pensée pour moderniser, semble déconnectée des réalités du terrain.
Une Croissance Économique en Danger
En 2024, la Tunisie affichait une croissance timide de 1,4 %. Pour 2025, les autorités espèrent atteindre 3 %. Mais avec cette réforme, cet objectif semble hors de portée. « Moins de consommation privée, c’est moins de croissance », résume un expert. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la perturbation des transactions commerciales pèse lourd sur une économie fragile.
- Ralentissement des ventes dans les commerces locaux.
- Baisse du pouvoir d’achat en période clé comme le ramadan.
- Risques pour la croissance dans un contexte déjà tendu.
Les autorités défendent leur choix, arguant que la loi réduit les litiges liés aux chèques sans provision – plus de 11 200 dossiers encombraient les tribunaux en avril dernier. Mais à quel prix ? Pour beaucoup, cette modernisation ressemble à un pari risqué.
Un Système Numérique Qui Patine
La plateforme digitale, pièce maîtresse de la réforme, est loin de convaincre. Entre pannes fréquentes et interface peu intuitive, elle complique la vie des commerçants et des clients. « On perd du temps à essayer de comprendre, et parfois ça ne marche même pas », déplore un libraire. Une modernisation qui, pour l’instant, rime avec régression.
Ce constat soulève une question : la Tunisie est-elle prête pour une telle transition ? Avec une population encore attachée aux méthodes traditionnelles, le passage au tout-numérique semble précipité.
Quel Avenir pour les Tunisiens ?
À plus d’un mois de son lancement, la réforme divise. Si elle vise à assainir les transactions, elle perturbe un système qui, malgré ses failles, fonctionnait pour beaucoup. Les Tunisiens, habitués à jongler avec des ressources limitées, se retrouvent désemparés face à ces nouvelles contraintes.
Entre perte de confiance dans les chèques et baisse de la consommation, l’économie tunisienne pourrait payer cher cette transformation. Reste à savoir si des ajustements seront faits pour limiter les dégâts, ou si cette loi marquera un tournant douloureux pour le pays.
En résumé : Une réforme ambitieuse, mais mal accueillie, qui pourrait freiner la Tunisie dans sa quête de stabilité économique.