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Tunisie : Jusqu’à 45 Ans de Prison pour Complot

En Tunisie, l’opposition vient d’être condamnée en appel à des peines allant jusqu’à 45 ans de prison pour « complot contre la sûreté de l’État ». L’ONU parle de motivations politiques et Jawhar Ben Mbarek est en grève de la faim depuis un mois. Que reste-t-il de la démocratie issue du Printemps arabe ?

Imaginez un pays qui fut le berceau du Printemps arabe, celui dont tout le monde citait le modèle de transition démocratique. Quatorze ans plus tard, des leaders d’opposition, des avocats, des militants et même un homme d’affaires se retrouvent condamnés à des décennies de prison pour avoir simplement discuté avec des diplomates étrangers. C’est la réalité brutale que vit la Tunisie en cette fin 2025.

Un verdict en appel qui confirme la sévérité

La cour d’appel a rendu son verdict : une quarantaine de personnes, dont les figures les plus connues de l’opposition tunisienne, ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 45 ans de réclusion. Si certaines sentences ont été légèrement réduites par rapport à la première instance, le message reste le même : toute critique du pouvoir est désormais assimilée à du terrorisme.

Les principaux visages de cette affaire sont ceux du Front de salut national (FSN), la grande coalition qui tente depuis 2021 de s’opposer au président Kais Saied. Jawhar Ben Mbarek, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Khayam Turki, Ridha Belhaj ou encore l’homme d’affaires Kamel Letaief font partie des condamnés les plus lourdement sanctionnés.

Des peines qui donnent le vertige

Voici, en détail, quelques-unes des condamnations prononcées :

  • Kamel Letaief : 45 ans (contre 66 ans en première instance)
  • Khayam Turki : 35 ans
  • Jawhar Ben Mbarek, Issam Chebbi, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi et Chaima Issa : 20 ans chacun
  • Ahmed Nejib Chebbi (octogénaire, cofondateur du FSN) : 12 ans
  • Ayachi Hammami (avocat) : 5 ans

Certains prévenus jugés par contumace ou en liberté provisoire ont écopé de peines allant jusqu’à 35 ans. Deux personnes ont été acquittées et quelques-unes ont bénéficié d’un non-lieu, dont le directeur de la radio Mosaïque FM, Noureddine Boutar.

Un procès sous haute tension

Dès le début, ce dossier a été marqué par une procédure expéditive. En première instance, seulement trois audiences avaient suffi pour prononcer des peines ahurissantes, sans même laisser la parole à la défense. En appel, la situation n’a guère évolué : les détenus ont refusé de comparaître par visioconférence, réclamant le droit élémentaire de se défendre en personne.

« Jawhar risque de mourir. Il ne demande qu’une seule chose : se défendre devant le tribunal », a alerté sa sœur, l’avocate Dalila Msaddek.

Jawhar Ben Mbarek observe en effet une grève de la faim depuis plus d’un mois pour dénoncer ce qu’il qualifie de détention arbitraire et injuste. Son état de santé inquiète sérieusement ses proches et les organisations de défense des droits humains.

L’accusation : discuter avec des étrangers = terrorisme

Le cœur du dossier repose sur des réunions tenues avec des diplomates européens et américains. Pour le pouvoir, ces échanges constituent une preuve irréfutable de « complot contre la sûreté de l’État » et d’« adhésion à une entité terroriste ». Une lecture qui laisse pantois les observateurs internationaux.

Depuis le coup de force institutionnel de juillet 2021, Kais Saied a multiplié les déclarations qualifiant ses opposants de « terroristes, de traîtres ou d’agents de l’étranger. Le décret-loi 54 sur les « fausses informations » est devenu l’outil juridique privilégié pour museler toute voix dissidente.

La communauté internationale s’indigne

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, par la voix de Volker Türk, a dénoncé dès la première instance des « violations graves » du droit à un procès équitable et des « motivations politiques évidentes ». Human Rights Watch a parlé d’accusations « fabriquées de toutes pièces » et réclamé l’annulation pure et simple des condamnations.

Jeudi, le Parlement européen a adopté une résolution exigeant la libération immédiate de tous les prisonniers d’opinion. Réponse immédiate de la présidence tunisienne : une vidéo où Kais Saied fustige une « ingérence » étrangère.

Un recul démocratique vertigineux

Depuis 2021, plus d’une centaine de personnalités – journalistes, avocats, militants, hommes d’affaires, anciens ministres – ont été arrêtées. La plupart sont poursuivies sur la base du même chef d’accusation : complot contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’État.

Les organisations tunisiennes et internationales parlent d’une dérive autoritaire sans précédent depuis la révolution de 2011. La liberté de la presse, l’indépendance de la justice et le pluralisme politique, tous les acquis de la décennie précédente semblent balayés.

Dans les rues de Tunis, la peur a remplacé l’espoir. Les manifestations sont rares, vite réprimées. Les réseaux sociaux, jadis bouillon de la contestation, sont surveillés et les publications critiques peuvent valoir une convocation immédiate.

Que reste-t-il du Printemps arabe en Tunisie ?

Quatorze ans après la chute de Ben Ali, la Tunisie était encore citée en exemple pour sa constitution progressiste de 2014 et ses élections libres. Aujourd’hui, le pays figure sur toutes les listes des démocraties en recul.

Les peines prononcées dans cette affaire du « complot » ne sont pas seulement des condamnations individuelles. Elles sonnent comme un avertissement adressé à toute une société : critiquer le président ou simplement envisager une alternative politique peut vous coûter la liberté pour des décennies.

Alors que Jawhar Ben Mbarek continue sa grève de la faim et que ses co-détenus entament des peines dignes d’un autre âge, une question se pose avec acuité : la Tunisie, berceau des révolutions arabes, est-elle en train de redevenir une dictature comme les autres ?

L’histoire nous le dira. Mais pour l’instant, les barreaux des prisons tunisiennes se referment sur celles et ceux qui osent encore rêver d’une Tunisie libre.

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