Imaginez : un vendredi soir de 1985, un supermarché comme tant d’autres dans le Brabant wallon. Les clients finissent leurs courses. Soudain, trois hommes surgissent, visages masqués, armes automatiques. En quelques minutes, huit personnes sont abattues, dont un enfant. Le butin ? À peine 3 000 euros actuels. Puis les tueurs disparaissent dans la nuit. Ce scénario, aussi absurde que terrifiant, s’est répété une vingtaine de fois entre 1982 et 1985. Vingt-huit morts, des dizaines de blessés, et toujours aucun coupable.
Les Tueries du Brabant, une plaie jamais refermée
Quarante ans plus tard, cette série de braquages meurtriers reste la plus grande énigme criminelle belge. On les a appelés le « Gang des tueurs fous », les « Tueurs du Brabant » ou encore les « Géants » à cause de la taille impressionnante de certains suspects sur les portraits-robots. L’horreur de leurs actes a marqué plusieurs générations.
Ce qui rend l’affaire encore plus incompréhensible, c’est le caractère dérisoire des sommes volées. Les assaillants semblaient tuer pour le plaisir plus que pour l’argent. Cette gratuité de la violence a nourri toutes les théories : règlement de comptes mafieux, opération sous faux drapeau, déstabilisation orchestrée par des éléments extrémistes au sein même de l’État belge… Aucune piste n’a jamais abouti.
Une décision judiciaire inattendue en 2025
Lundi dernier, un nouveau chapitre s’est ouvert. La cour d’appel de Mons a donné son feu vert à plusieurs actes d’enquête réclamés par les parties civiles. Parmi eux : l’exploration sérieuse d’une piste française longtemps négligée, celle des frères Xavier et Thierry Sliman, deux figures du milieu ardennais aujourd’hui décédés.
Ces noms ne sont pas inconnus des enquêteurs. Dès les premières années, la ressemblance frappante de l’un des frères avec le portrait-robot du « Géant » avait été signalée. Pourtant, pour des raisons jamais totalement élucidées, cette piste n’avait jamais été creusée à fond. Les Sliman continuaient leurs activités criminelles de l’autre côté de la frontière pendant que la Belgique pleurait ses morts.
Trois actes d’enquête décisifs ordonnés
Le parquet fédéral belge reste discret, mais les informations filtrent : trois mesures précises ont été validées.
- Reprise de l’examen des indices liés aux frères Sliman
- Comparaison génétique poussée avec les traces retrouvées sur les scènes de crime
- Exhumation du corps de leur mère afin de récolter un ADN de référence familial
Cette dernière décision, particulièrement forte symboliquement, montre à quel point les magistrats sont prêts à tout pour faire avancer le dossier. Même remuer la terre d’un cimetière français si cela peut apporter la vérité aux familles.
« Les faits restent imprescriptibles. Tant qu’il existe une chance, même infime, nous devons la saisir. »
Source proche du dossier
Qui étaient vraiment les frères Sliman ?
Dans les Ardennes françaises des années 80, leur nom faisait trembler. Spécialisés dans les braquages à main armée, les attaques de fourgons et les trafics en tout genre, Xavier et Thierry Sliman étaient connus pour leur violence extrême et leur sang-froid. On parle de plusieurs morts lors de leurs coups.
Leur physique correspondait aussi : l’un des deux mesurait près d’1m95, taille rare à l’époque et qui colle parfaitement avec le surnom du « Géant » donné à l’un des tueurs du Brabant. Des témoins avaient décrit un homme immense, dominant ses complices, tirant sans hésiter sur des innocents.
Leur mort, il y a plusieurs années, avait semblé clore définitivement cette piste. L’ADN moderne et la persévérance des parties civiles viennent de la rouvrir brutalement.
Pourquoi cette piste avait-elle été abandonnée ?
C’est la grande question que se posent encore les familles des victimes. Des dysfonctionnements dans la coopération belgo-française ? Une volonté de protéger d’autres suspects plus « sensibles » ? Les rumeurs les plus folles ont circulé.
On sait aujourd’hui que la piste d’une manipulation par des gendarmes ou ex-gendarmes d’extrême droite (la fameuse thèse de la « déstabilisation ») a monopolisé l’attention pendant des décennies. Des membres du Westland New Post, du Groupe G, ou encore de la Diane avaient été suspectés, certains mis en examen. Cette orientation, bien que sérieuse, n’a jamais débouché.
Pendant ce temps, les Sliman passaient entre les mailles du filet belge.
L’ADN, ultime espoir d’un dossier tentaculaire
Le dossier des Tueries du Brabant contient des milliers de scellés. Cheveux, mégots, traces de sang, morceaux de tissu… Beaucoup n’avaient jamais été analysés avec les techniques actuelles. Ces dernières années, plusieurs profils ADN partiels ont été isolés.
Si l’ADN de la mère des Sliman correspond à l’un de ces profils, ou permet d’établir un lien familial clair, ce serait une avancée majeure. Voire la clé qui déverrouillerait tout.
Car même morts, les coupables peuvent encore être désignés. Et les familles obtenir enfin un nom.
Un dossier qui ne mourra jamais
En juin 2024, le parquet fédéral avait annoncé qu’il n’initierait plus d’investigations de son propre chef. Une décision vécue comme un abandon par beaucoup. Mais la loi belge est claire : ces crimes sont imprescriptibles. Et les parties civiles conservent le droit de demander des actes.
C’est exactement ce qu’elles viennent de faire. Avec succès.
Preuve que, quarante ans après, la société belge refuse d’oublier. Ces 28 visages continuent de hanter les mémoires. Ces enfants tués devant leurs parents, ces clients abattus pour quelques billets, ces survivants marqués à jamais méritent que la vérité éclate.
Que la piste française aboutisse ou non, elle rappelle une chose essentielle : tant qu’il reste une once d’espoir, l’enquête continuera. Coûte que coûte.
Quel que soit le temps passé, certaines blessures ne se referment jamais. Les Tueries du Brabant en font partie. Aujourd’hui, une simple analyse ADN pourrait enfin apporter la paix à des familles qui attendent depuis 1985.
L’histoire n’est peut-être pas terminée. Et parfois, la vérité finit toujours par remonter à la surface. Même après quatre décennies.









