Imaginez-vous dans les rues animées de Mogadiscio. Le soleil tape fort, les klaxons résonnent, et soudain, une phrase venue des États-Unis fait l’effet d’une bombe : le président américain vient de qualifier votre pays de « pourri ». C’est exactement ce qui s’est passé lorsque Donald Trump a lâché ses mots crus lors d’une réunion gouvernementale. En quelques heures, la nouvelle a fait le tour de la capitale somalienne et la colère a explosé.
Quand Trump parle de la Somalie, c’est tout un pays qui se sent visé
Ce n’était pas la première fois que Donald Trump s’en prenait verbalement à la Somalie ou aux Somaliens. Mais cette fois-ci, le ton a franchi un seuil. Lors d’une discussion sur une vaste fraude à l’aide sociale impliquant des Américains d’origine somalienne – plus d’un milliard de dollars détournés –, le président a déclaré sans filtre : « En Somalie, ils n’ont rien, ils ne font que s’entre-tuer. Leur pays ne vaut rien pour une raison ou une autre. Leur pays est pourri, et nous ne voulons pas d’eux chez nous. »
Ces phrases, prononcées devant ses collaborateurs, ont rapidement traversé l’Atlantique et l’océan Indien pour atterrir en plein cœur de Mogadiscio. Et là, l’indignation a été immédiate.
« Ces insultes sont inacceptables » : la rue somalienne réagit
Daude Bare est commerçant au grand marché de Bakara. Quand on lui parle des déclarations de Trump, il ne mâche pas ses mots :
« Ce n’est pas la première fois que le président Trump parle négativement de la Somalie et des Somaliens, mais cette fois-ci ces insultes sont inacceptables. »
Pour lui, il est hors de question de laisser passer une généralisation aussi brutale. « Si Trump a un problème avec certains Somaliens qui ont commis des crimes en Amérique, il peut le dire. Mais nous ne pouvons pas accepter qu’il parle négativement de la Somalie et des Somaliens en général », ajoute-t-il, les sourcils froncés.
À quelques rues de là, Sumaya Hassan Ali, étudiante de 23 ans, partage le même sentiment d’injustice. Assise sous l’ombre d’un arbre avec ses amies, elle explique calmement mais fermement :
« Un président étranger n’a aucun droit d’être grossier envers la Somalie. Chaque pays a ses défauts, même les États-Unis, dont il semble penser qu’ils sont un paradis. »
Elle rappelle que la violence existe partout, y compris dans les grandes villes américaines. « Nous savons que beaucoup de gens sont tués là-bas chaque année, parfois plus qu’en Somalie », lâche-t-elle, un sourire amer aux lèvres.
Un silence assourdissant du côté du gouvernement somalien
Mais dans les couloirs du pouvoir à Mogadiscio, c’est le silence radio. Aucun communiqué officiel, aucune réaction publique. Plusieurs ministres contactés ont refusé de commenter.
La raison est simple, et elle tient en un mot : dépendance. Les États-Unis sont le partenaire militaire numéro un du gouvernement somalien dans sa lutte contre les shebab, ces combattants islamistes liés à Al-Qaïda qui sévissent encore à seulement 60 kilomètres de la capitale.
Mahdi Ibrahim, universitaire respecté à Mogadiscio, décrypte la situation sans détour :
« Le gouvernement somalien ne répond pas au président américain car il sait que s’il l’irrite, Donald Trump pourrait ne pas hésiter à retirer son soutien militaire à la Somalie. »
Un soutien vital : drones, formation, renseignement, financements. Sans cela, l’équilibre précaire que connaît le pays depuis quelques années pourrait basculer à nouveau dans le chaos.
Une voix rare qui reconnaît « certaines vérités »
Parmi toutes les réactions recueillies dans les rues de Mogadiscio, une sort du lot. Nuradin Abdi travaille dans l’humanitaire. Il ne défend pas le ton employé par Trump, mais il refuse de tout rejeter en bloc.
« Trump est peut-être mal élevé, mais on ne peut pas ignorer que certains de ces propos sont vrais. La Somalie se bat toujours contre des guerres et la corruption, et son peuple est réfugié partout dans le monde. »
Pour lui, la solution ne passe pas par l’indignation seule, mais par l’action :
« Si nous voulons changer la perception mondialement négative de la Somalie, nous devons changer notre pays et améliorer sa gouvernance. »
Une position courageuse dans un contexte où critiquer son propre pays peut vite être perçu comme une trahison.
Contexte : une fraude massive qui a mis le feu aux poudres
Pour bien comprendre l’explosion verbale de Trump, il faut revenir à l’affaire qui a tout déclenché. Aux États-Unis, une enquête a révélé le détournement de plus d’un milliard de dollars destinés à nourrir des enfants dans le besoin. Un réseau impliquant majoritairement des membres de la communauté somalienne du Minnesota a été démantelé.
Des sommes colossales parties en voitures de luxe, propriétés immobilières et voyages, au lieu d’acheter de la nourriture. Ce scandale a choqué l’opinion publique américaine et a offert à Trump l’occasion de reprendre son discours habituel sur l’immigration et la fraude.
Mais en Somalie, beaucoup refusent que les actes criminels d’une minorité servent à salir tout un peuple et tout un pays.
Entre fierté nationale et réalités douloureuses
La Somalie reste un pays marqué par trente ans de guerre civile, d’attentats et de crises humanitaires. Pourtant, ces dernières années, Mogadiscio renaît lentement : hôtels, restaurants, universités, plages fréquentées à nouveau. Une jeunesse dynamique rêve d’avenir.
Se faire traiter de « pays pourri » par le président de la première puissance mondiale, c’est un coup dur pour cette fierté naissante. C’est aussi un rappel brutal que, malgré les progrès, l’image internationale reste très dégradée.
Entre ceux qui crient à l’insulte raciste, ceux qui pointent la dépendance géopolitique et ceux qui appellent à l’introspection, cette polémique révèle les fractures et les espoirs d’une nation en reconstruction.
Et pendant ce temps, à Washington comme à Mogadiscio, chacun attend de voir si ces mots resteront sans conséquence… ou s’ils annoncent un tournant dans les relations entre les deux pays.
À retenir : Les propos de Donald Trump ont révélé une vérité crue : la Somalie reste extrêmement dépendante de l’aide américaine face aux shebab. Critiquer ouvertement le président des États-Unis peut coûter très cher. Entre dignité nationale et réalisme géopolitique, le choix est douloureux.
Une chose est sûre : à Mogadiscio, on n’est pas près d’oublier ces mots. Ils ont blessé. Ils ont aussi, peut-être, réveillé quelques consciences.









