Alors que Donald Trump peaufine sa probable candidature pour l’élection présidentielle de 2025, un épais dossier de près de 900 pages refait surface et agite la sphère politique américaine. Baptisé « Projet 2025 », ce programme ultra-conservateur concocté dans l’ombre par une centaine de think-tanks et groupes de pression trumpistes se veut la feuille de route d’un second mandat Trump. Mais son contenu radical, des expulsions massives de migrants à une purge idéologique de l’administration fédérale, sème le trouble jusque dans les rangs républicains. Si Trump garde officiellement ses distances, difficile pour lui de renier ce condensé caricatural de la doxa trumpiste. Enquête sur ce brûlot qui donne un avant-goût explosif de la prochaine présidentielle.
Un programme choc made in Heritage Foundation
C’est devenu un rituel depuis les années 1980 : à chaque nouvelle élection présidentielle, la très influente Heritage Foundation, think-tank historique de la droite conservatrice américaine, publie un recueil de propositions à destination du candidat républicain. Mais pour 2024-2025, ce traditionnel « Mandate for leadership » prend une tournure particulièrement radicale. Rebaptisé « Projet 2025 », le document d’environ 900 pages a été rédigé en étroite collaboration avec une centaine de groupes ultra-conservateurs et d’anciens de l’administration Trump.
L’objectif affiché : permettre à Donald Trump, s’il est réélu, de lancer un train de réformes dès le premier jour de son mandat, sans perdre de temps. Un programme choc, du « Trumpisme puissance 10 », destiné à ne pas répéter les errements du premier mandat jugé trop timoré par l’aile dure du mouvement.
Expulsion de millions de migrants
Parmi les propositions les plus controversées du « Projet 2025 », la politique migratoire occupe une place de choix. Le document préconise notamment de remettre en cause le droit du sol, de réduire drastiquement l’immigration légale, et surtout d’expulser « des millions » de sans-papiers installés aux États-Unis. Une ligne dure conforme à la rhétorique trumpiste, mais qui suscite des inquiétudes jusque dans le camp républicain sur sa faisabilité et ses potentielles conséquences humanitaires et économiques.
Ces propositions sont irréalistes et inhumaines. Elles ne feront qu’aggraver les problèmes.
– Un élu républicain souhaitant rester anonyme
Purge idéologique de l’administration
Autre mesure phare et polémique, le Projet 2025 prône une véritable purge dans l’administration fédérale. Tous les hauts-fonctionnaires et les agents jugés insuffisamment « patriotes » ou en phase avec l’idéologie trumpiste seraient limogés sans ménagement. Une « réorganisation » brutale de l’État fédéral dénoncée par les syndicats et l’opposition, qui y voient une dérive autoritaire contraire aux valeurs du service public. De quoi nourrir la crainte d’une mainmise politique sur une fonction publique pourtant traditionnellement neutre.
C’est un projet de purge politique qui bafoue les principes de neutralité et de continuité du service public, un pilier de notre démocratie.
– Eleonor Mcgill, présidente du principal syndicat de fonctionnaires
Trump gêné aux entournures
Si Donald Trump ne peut ignorer un programme émanant du cœur de sa base électorale, il semble néanmoins gêné par certaines propositions trop extrêmes qui donnent du grain à moudre à ses opposants démocrates. Depuis quelques semaines, il fait savoir qu’il n’a pas commandité le rapport, sans pour autant le désavouer. Un grand écart de communication qui en dit long sur l’embarras de l’ancien président.
Son entourage s’en tient pour l’instant à une ligne prudente : ce programme ne serait qu’une « source d’inspiration parmi d’autres » et « tout ne sera pas retenu ». Mais en coulisses, Trump n’aurait pas digéré certaines propositions, comme une réforme du système électoral complexe à mettre en œuvre. Il aurait discrètement fait limoger Paul Dans, le directeur du Projet 2025. Un débarquement express qui n’a pas empêché les démocrates de s’emparer du dossier.
Les démocrates tirent à boulets rouges
Pour l’opposition démocrate, ce rapport est une aubaine politique, la preuve éclatante de la radicalité de la mouvance trumpiste que le chef de file républicain peine à contrôler. Le président Biden et les leaders démocrates étrillent « le retour programmé d’une Amérique haineuse, xénophobe et autoritaire ». Ils appellent les républicains modérés à clarifier leur position.
Ce projet nous ramène aux heures les plus sombres de notre histoire. Chaque candidat républicain doit dire s’il le soutient ou le rejette.
– Chuck Schumer, chef des démocrates au Sénat
À n’en pas douter, le « Projet 2025 » va empoisonner le débat de la présidentielle et obliger Donald Trump à un numéro d’équilibriste périlleux entre la satisfaction de sa base et la quête d’une respectabilité politique pour 2025. Un avant-goût explosif du climat de campagne à venir.
En attendant, ce rapport a le mérite de baliser le champ idéologique de la future campagne et de clarifier le « trumpisme » dans sa version la plus décomplexée, loin des amarres républicaines traditionnelles. Une fenêtre éclairante mais inquiétante sur la polarisation croissante du débat politique outre-Atlantique, où chaque camp pousse ses logiques à l’extrême. De quoi nourrir les spéculations et les préparatifs des états-majors politiques, qui voient déjà poindre dans le « Projet 2025 » l’équation politique insoluble de la présidentielle à venir.
