Imaginez la scène : un président américain, micro en main, contemple un bâtiment fédéral flambant neuf (selon lui) et s’extasie devant les lettres argentées qui brillent sous le soleil de Washington. « Oh, voilà qui est beau ! » lance-t-il, ravi. Ces lettres forment son propre nom. L’histoire pourrait paraître sortie d’une série satirique… sauf qu’elle s’est réellement déroulée il y a quelques jours.
Un nom en lettres géantes sur un institut qu’il voulait rayer de la carte
L’Institut américain pour la paix (United States Institute of Peace, USIP) existe depuis 1984. Créé sous Ronald Reagan, financé par le Congrès, il emploie des experts chargés de prévenir et résoudre les conflits dans le monde. Un think tank respecté, indépendant, discret.
Dès les premiers mois de son second mandat, Donald Trump a pourtant tenté de le démanteler. Budget supprimé, direction limogée, chercheurs mis à la porte : l’institution était condamnée. Et puis, retournement spectaculaire : le département d’État annonce que le bâtiment portera désormais, en relief et en très grand, le nom Donald J. Trump au-dessus de son appellation d’origine.
« Merci d’avoir mis un certain nom sur le bâtiment. Quand je suis arrivé je me suis dit : Oh, voilà qui est beau ! C’est un grand honneur. »
Donald Trump, lors de la cérémonie
Un « miracle » signé dans un contexte explosif
La cérémonie avait pour prétexte la signature d’un accord de paix entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Donald Trump a qualifié l’événement de « miracle » et s’est félicité d’avoir mis fin à huit conflits majeurs depuis janvier (Gaza, Inde-Pakistan, Cambodge-Thaïlande, etc.).
Sur le terrain, la réalité est moins rose. Dans l’est de la RDC, les combats entre le M23 (soutenu par Kigali) et l’armée congolaise font toujours rage, particulièrement dans le Sud-Kivu. L’accord signé à Washington n’a, pour l’instant, aucun impact visible sur le terrain au moment où ces lignes sont écrites.
Les experts internationaux restent prudents : l’implication américaine dans ce dossier précis a été minime, voire inexistante avant cette cérémonie. Le texte signé ressemble davantage à une déclaration d’intention qu’à un cessez-le-feu effectif.
La marque Trump, plus forte que jamais
Pour l’ancien promoteur immobilier qu’il a été, apposer son nom sur des bâtiments est une seconde nature. Tours Trump, hôtels Trump, golfs Trump… La présidence semble prolonger cette habitude à l’échelle nationale.
Pendant la même cérémonie, il a ainsi plaisanté en appelant le Kennedy Center le « Trump Kennedy Center », avant de faire mine de s’excuser : « J’ai fait une énorme erreur. » Rires dans la salle.
Un élu républicain a déjà déposé une proposition pour renommer l’aéroport international de Washington-Dulles en Donald J. Trump International Airport. Coïncidence ? Le président vient d’annoncer une vaste rénovation de cette infrastructure.
Petit inventaire des dernières initiatives « branding » présidentielles :
- Pose d’une plaque géante « Donald J. Trump » sur l’Institut de la paix
- Portraits présidentiels accrochés à la Maison Blanche avant la fin du mandat (tradition rompue)
- Portrait géant en Lego exposé parmi les décorations de Noël 2025
- Projet de salle de bal démesurée à la Maison Blanche (l’architecte protesterait)
- Rumeur de pièces commémoratives à son effigie en préparation
Le Nobel de la paix, obsession intacte
Donald Trump n’a jamais caché son désir de recevoir le prix Nobel de la paix. Il estime que la fin (selon lui) de plusieurs conflits majeurs devrait lui valoir cette récompense suprême.
Il a déjà été proposé plusieurs fois par des parlementaires républicains ou des personnalités étrangères, sans succès. La décision appartient au comité norvégien, qui semble peu sensible aux auto-candidatures.
À défaut de Stockholm (ou plutôt d’Oslo), le président semble avoir choisi l’auto-célébration immédiate. Le bâtiment renommé devient ainsi une sorte de « Nobel architectural » personnel.
Un bâtiment « magnifique et flambant neuf »… terminé en 2011
Lors de la cérémonie, Donald Trump a longuement vanté la beauté du siège de l’USIP, le décrivant comme « flambant neuf ». En réalité, la construction s’est achevée en 2011, sous la présidence de Barack Obama.
Ce léger décalage chronologique n’a pas empêché le président de s’enthousiasmer devant les colonnes de marbre et les vastes espaces vitrés, comme s’il découvrait un joyau tout juste sorti de terre.
Quelle image pour la diplomatie américaine ?
Cette séquence soulève des questions plus larges. Dans quelle mesure la diplomatie américaine peut-elle être incarnée par la personnalité d’un seul homme, jusqu’à graver son nom sur des institutions créées pour transcender les mandats ?
Le contraste est saisissant : d’un côté, une institution dédiée à la paix dans le monde ; de l’autre, un nom personnel apposé en lettres géantes. Certains y voient une preuve d’autorité et de leadership incontesté. D’autres, un symbole d’une présidence qui confond fonction et personne.
Marco Rubio, secrétaire d’État, était présent et a validé l’opération. Le message publié sur X par le département d’État allait même plus loin : il s’agissait de « rendre hommage au meilleur négociateur de l’histoire de notre pays ».
Le temps dira si cette inscription en lettres argentées restera dans les livres d’histoire comme un détail anecdotique… ou comme le symbole d’une ère où la marque personnelle a parfois pris le pas sur la mission.
En attendant, le bâtiment est là, au cœur de Washington, avec ses deux noms superposés. L’ancien, discret, officiel. Le nouveau, clinquant, présidentiel. Et l’image parfaite illustration d’une Amérique qui ne fait jamais les choses à moitié, même quand il s’agit de célébrer… elle-même.









