Et si un simple tweet pouvait remettre en question tout le système judiciaire américain ? Jeudi, Donald Trump a déclenché une véritable tempête en annonçant qu’il accordait une « grâce totale » à Tina Peters, cette ancienne responsable électorale du Colorado condamnée à neuf ans de prison. Le motif ? Avoir voulu, selon lui, révéler la vérité sur une élection présidentielle « truquée » en 2020.
Une grâce qui fait déjà trembler le Colorado
Sur Truth Social, le président fraîchement investi n’y est pas allé par quatre chemins. « Aujourd’hui, j’accorde à Tina une grâce totale pour ses tentatives de dénoncer la fraude électorale lors de l’élection présidentielle truquée de 2020 ! » a-t-il écrit, qualifiant l’intéressée de « patriote » persécutée par les démocrates.
En quelques heures, le message a été partagé des dizaines de milliers de fois. Mais derrière l’effet d’annonce, une question juridique explosive se pose immédiatement : un président peut-il gracier quelqu’un condamné par un tribunal d’État ?
Qui est vraiment Tina Peters ?
À 69 ans, Tina Peters était, jusqu’en 2021, la « clerk » du comté de Mesa, dans l’ouest du Colorado. Concrètement, elle supervisait l’ensemble des opérations électorales locales : enregistrement des électeurs, machines de vote, comptage des bulletins. Un poste stratégique et habituellement discret.
Mais après la victoire de Joe Biden, cette républicaine convaincue bascule. Persuadée que les machines Dominion ont été manipulées, elle décide d’agir. En août 2021, elle autorise un proche de l’entourage de Trump, un certain Conan Hayes, à copier les disques durs des machines de vote du comté.
L’objectif affiché ? Prouver l’existence d’une fraude massive. Les images de cette opération clandestine seront diffusées quelques jours plus tard lors du « Cyber Symposium » organisé par Mike Lindell, le patron de MyPillow et fervent soutien de Trump.
Les sept chefs d’accusation qui l’ont envoyée en prison
Le verdict est tombé en octobre 2024 : Tina Peters a été reconnue coupable de sept chefs d’inculpation, dont :
- Abus de position officielle
- Conduite d’une entreprise criminelle
- Violation de données confidentielles
- Usurpation d’identité
- Entrave à fonctionnaire gouvernemental
Le juge lui reproche d’avoir désactivé les caméras de surveillance, d’avoir utilisé la carte d’accès d’un collègue et d’avoir menti aux enquêteurs. La sentence : neuf ans de prison ferme. Une peine particulièrement lourde qui a choqué une partie de la droite américaine.
« Les démocrates ont été implacables dans leur ciblage de Tina Peters, une patriote qui voulait simplement s’assurer que nos élections étaient justes et honnêtes »
Donald Trump, sur Truth Social
Le mur constitutionnel : pourquoi cette grâce pose problème
La Constitution américaine est pourtant claire. L’article II, section 2, accorde au président le pouvoir de gracier « les infractions contre les États-Unis ». Autrement dit : uniquement les crimes fédéraux.
Or Tina Peters a été jugée et condamnée par un tribunal du Colorado, pour des violations du code pénal de l’État. Résultat : les autorités locales ont immédiatement réagi.
Le gouverneur démocrate Jared Polis a été le premier à dégainer :
« Tina Peters a été condamnée par un jury pour des crimes relevant de l’État. Trump n’a aucune autorité constitutionnelle pour la gracier. »
Le procureur général Phil Weiser en a remis une couche :
« L’idée qu’un président puisse gracier une personne jugée et condamnée par un tribunal d’État n’a aucun précédent en droit américain. »
Y a-t-il déjà eu des précédents ?
En réalité, aucun. Même pendant la guerre de Sécession, Abraham Lincoln n’a jamais gracié des condamnés des États confédérés pour des crimes de droit commun. Le seul cas un peu proche reste la grâce d’Arpaio en 2017 : l’ancien shérif de l’Arizona avait été condamné pour outrage à juge… dans une procédure fédérale.
Des juristes de tous bords s’accordent donc : cette grâce n’a très probablement aucune valeur juridique pour Tina Peters. Elle reste, pour l’instant, incarcérée dans une prison du Colorado.
Un symbole politique plus qu’une mesure efficace
Alors pourquoi Trump a-t-il fait cette annonce ? Pour beaucoup d’observateurs, il s’agit d’un message clair envoyé à sa base : « Je n’oublie pas ceux qui ont combattu pour moi en 2020 ».
Cette grâce, même symbolique, ravive le récit selon lequel des dizaines de « patriotes » ont été injustement poursuivis pour avoir simplement voulu « protéger l’intégrité électorale ». Un discours qui continue de résonner chez une partie importante de l’électorat républicain.
Elle intervient aussi quelques semaines seulement après le retour de Trump à la Maison Blanche, rappelant que le 45e puis 47e président entend bien utiliser tous les leviers du pouvoir exécutif, même quand ils sont contestés.
Et maintenant ? Trois scénarios possibles
- Le Colorado ignore purement et simplement la grâce – Scénario le plus probable. Tina Peters reste en prison jusqu’à épuisement des recours.
- Un bras de fer juridique inédit – L’équipe Trump pourrait saisir la Cour suprême pour tenter de créer un précédent. Risque : un camouflet retentissant.
- Une loi fédérale rétroactive – Le Congrès à majorité républicaine pourrait tenter de fédéraliser certains crimes électoraux commis en 2020-2021. Hypothèse extrême mais pas totalement exclue.
Au-delà de Tina Peters : une fracture qui ne se referme pas
Cette affaire cristallise cinq ans après 2020 une fracture toujours béante. D’un côté, ceux qui estiment que l’élection a été volée et que les enquêtes ont été bâclées. De l’autre, ceux qui voient dans ces théories un danger pour la démocratie.
La grâce annoncée de Tina Peters, même si elle ne produit aucun effet concret, continuera d’alimenter ce débat. Elle rappelle que pour des millions d’Américains, la question de la légitimité de l’élection de 2020 n’est toujours pas réglée.
Et pendant ce temps, dans sa cellule du Colorado, Tina Peters attend. Symbole malgré elle d’une Amérique qui, cinq ans après, peine encore à tourner la page.
En résumé : Donald Trump a annoncé une grâce présidentielle pour Tina Peters. Juridiquement, cette grâce ne peut s’appliquer à une condamnation d’État. Politiquement, elle envoie un signal fort à sa base et relance le débat sur 2020. L’histoire est loin d’être terminée.









