Imaginez une ville de plus de quatre millions d’habitants où des militaires en treillis patrouillent encore les rues six mois après le début des troubles. C’est exactement ce qu’il se passait jusqu’à hier à Los Angeles. Mercredi, un juge fédéral a mis un terme brutal à cette situation en ordonnant le retrait immédiat des dernières troupes de la Garde nationale encore présentes sur le sol californien.
Un déploiement qui avait choqué dès le premier jour
Retour en juin dernier. Donald Trump, fraîchement investi pour son second mandat, décide d’envoyer 4 000 membres de la Garde nationale dans la deuxième plus grande ville des États-Unis. Objectif officiel : protéger les biens et le personnel fédéraux lors d’opérations d’expulsion menées par l’ICE, la police de l’immigration.
Le problème ? Les autorités locales démocrates n’avaient rien demandé. Pire, elles s’y opposaient fermement. Le gouverneur Gavin Newsom avait qualifié cette décision d’« atteinte inacceptable à la souveraineté de la Californie » dès les premières heures.
Une centaine de soldats encore sur place
Six mois plus tard, la plupart des militaires ont été démobilisés. Mais une centaine restaient toujours déployés. Selon l’armée américaine, leur mission consistait toujours à « protéger les propriétés fédérales et le personnel chargé de faire respecter la loi ».
Cette présence résiduelle, même réduite, continuait de cristalliser les tensions. Des manifestations sporadiques éclataient encore régulièrement devant les bâtiments fédéraux du centre-ville.
La décision historique du juge Charles Breyer
C’est le juge fédéral Charles Breyer qui a tranché. Dans un arrêt particulièrement ferme, il a estimé que la Garde nationale de Californie devait repasser sous le contrôle exclusif du gouverneur de l’État.
« L’argument selon lequel le président pourrait conserver indéfiniment le contrôle des troupes d’un État bouleverserait complètement le fédéralisme au cœur de notre système constitutionnel »
Juge Charles Breyer
Le magistrat a balayé d’un revers de main les arguments du ministère de la Justice, qui affirmait que le président pouvait conserver le commandement aussi longtemps qu’il le jugeait nécessaire.
Gavin Newsom savoure une victoire éclatante
La réaction du gouverneur démocrate ne s’est pas faite attendre. Gavin Newsom, souvent présenté comme un possible candidat à la présidentielle de 2028, a immédiatement salué une « décision on ne peut plus claire ».
« Le contrôle fédéral sur la Garde nationale de Californie est illégal et doit cesser », a-t-il déclaré, avant d’ajouter que le président avait « déployé ces hommes et femmes courageux contre leur propre communauté » en les détournant de leurs missions essentielles de sécurité publique.
Un sursis jusqu’à lundi… et puis ?
La décision judiciaire a été assortie d’un sursis d’exécution jusqu’à lundi. Cela laisse le temps à l’administration Trump de faire appel. Et elle ne devrait pas s’en priver.
Ce délai court offre une respiration dans un conflit qui dure depuis des mois et qui dépasse largement les rues de Los Angeles.
Un précédent qui fait trembler Washington
Ce n’est pas la première fois que la justice freine les ambitions de l’exécutif en matière de déploiement militaire intérieur. En octobre déjà, les tribunaux avaient bloqué des initiatives similaires à Chicago et Portland.
Aujourd’hui, l’administration Trump a saisi en urgence la Cour suprême – à majorité conservatrice – pour tenter de faire autoriser le déploiement à Chicago. Pour l’instant, la plus haute juridiction du pays n’a pas encore rendu sa décision.
Los Angeles pourrait donc n’être qu’une bataille dans une guerre juridique beaucoup plus vaste.
L’immigration, priorité absolue du second mandat
Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump a fait de la lutte contre l’immigration clandestine l’axe central de sa politique intérieure. Le terme d’« invasion » est revenu constamment dans ses discours, accompagné d’une communication massive sur les expulsions massives.
Le déploiement de la Garde nationale dans plusieurs grandes villes à majorité démocrate s’inscrivait directement dans cette stratégie : montrer que l’autorité fédérale face aux « sanctuaires » migratoires.
Le fédéralisme américain mis à rude épreuve
Au-delà du cas de Los Angeles, c’est tout l’équilibre des pouvoirs entre États et gouvernement fédéral qui est en jeu. La Constitution américaine prévoit que la Garde nationale reste normalement sous l’autorité des gouverneurs, sauf activation exceptionnelle par le président.
Mais l’administration Trump a cherché à repousser très loin les limites de cette exception. Le juge Breyer vient de rappeler que ces limites existent bel et bien.
Ce bras de fer rappelle d’autres épisodes historiques : les années 1950 et 1960, lorsque des présidents avaient dû envoyer l’armée pour faire respecter les droits civiques dans le Sud face à des gouverneurs ségrégationnistes. L’histoire se répète-t-elle, à front renversé ?
Et maintenant ?
Lundi prochain, les derniers soldats encore présents à Los Angeles devront avoir quitté la ville, sauf si la Cour d’appel – ou la Cour suprême – décide de suspendre la décision de première instance.
Mais même en cas de victoire judiciaire temporaire pour l’administration Trump, le message est clair : un président ne peut pas indéfiniment maintenir des troupes d’un État sous son contrôle direct contre la volonté des autorités locales.
À Los Angeles comme ailleurs, la page de la militarisation des rues semble se tourner. Pour combien de temps ? L’avenir nous le dira.
Résumé des faits clés :
- Juin : 4 000 membres de la Garde nationale déployés à Los Angeles
- Décembre : environ 100 soldats encore présents
- Mercredi : décision du juge Charles Breyer ordonnant le retrait
- Sursis accordé jusqu’à lundi
- L’administration Trump devrait faire appel
Une chose est sûre : ce dossier continuera d’alimenter le débat sur les limites du pouvoir présidentiel pour les mois, voire les années à venir.









