Imaginez : dans moins de six mois, le plus grand événement sportif de la planète va poser ses valises en Amérique du Nord. Quatre-vingt-deux matchs sur cent quatre se joueront aux États-Unis. Des millions de supporters du monde entier rêvent déjà de fouler le sol américain pour vibrer au rythme des plus belles affiches. Et puis il y a Donald Trump. Réélu, décomplexé, prêt à imposer sa vision d’une Amérique ultra-fermée. Résultat : l’organisation de cette Coupe du Monde historique bascule dans l’inconnu.
Quand la politique migratoire s’invite sur le terrain
La Coupe du Monde, c’est avant tout un immense flux de voyageurs. Des centaines de milliers de spectateurs étrangers sont attendus, majoritairement sur le sol américain. Problème : le président des États-Unis a fait de la lutte contre l’immigration sa priorité absolue, avec une fermeté jamais vue lors de son premier mandat.
Après une attaque récente près de la Maison Blanche impliquant un ressortissant afghan, la réponse a été immédiate. Suspension totale de l’octroi de visas pour les citoyens de dix-neuf pays. Parmi eux, deux nations qualifiées pour le tournoi : Haïti et l’Iran. Conséquence directe : la délégation iranienne a d’abord menacé de boycotter le tirage au sort prévu à Washington, avant de faire marche arrière au dernier moment.
Pour les supporters ordinaires, la situation reste floue. Obtenir un visa américain peut déjà prendre plusieurs mois en temps normal. Avec les nouvelles restrictions, le délai risque de s’allonger dramatiquement. Des familles entières qui économisent depuis des années pourraient se voir refuser l’entrée sur le territoire au dernier moment.
Le « pass FIFA » : une solution en trompe-l’œil ?
Face à la polémique grandissante, le président américain a annoncé la création d’un dispositif spécial baptisé « pass FIFA ». L’idée : tout détenteur d’un billet officiel pour un match de la Coupe du Monde bénéficiera d’un traitement prioritaire pour sa demande de visa.
« Votre billet n’est pas un visa »
Marco Rubio, secrétaire d’État américain
Le message est clair. Le précieux sésame pour le stade garantit un rendez-vous plus rapide à l’ambassade ou au consulat, mais en aucun cas une acceptation automatique. Les critères de sécurité restent inchangés. Screening renforcé, vérifications approfondies, refus possibles à tout moment. En résumé : on vous met en haut de la pile, mais la pile peut toujours vous recracher.
Des matchs sous la menace permanente du déplacement
Mais les visas ne sont pas le seul point noir. Donald Trump a plusieurs fois brandi la menace de retirer des rencontres à certaines villes hôtes. Cibles principales : les métropoles dirigées par des maires démocrates.
Los Angeles (huit matchs), San Francisco (six) et Seattle (six) sont dans le collimateur. Le président leur reproche, sans avancer de preuves tangibles, de laisser exploser l’insécurité et l’immigration illégale. Il a publiquement évoqué la possibilité de déplacer ces rencontres vers des villes plus « sûres », c’est-à-dire généralement républicaines.
Pour la FIFA, ce serait un cauchemar logistique. Des stades déjà réservés, des hôtels complets, des vols bookés, des supporters qui ont tout organisé parfois deux ans à l’avance. Sans parler des contrats signés avec chaque ville hôte, qui ne peuvent être rompus que dans des cas extrêmes (catastrophe naturelle, guerre, troubles graves).
Concrètement, déplacer ne serait-ce qu’un seul match nécessiterait :
- La renégociation express d’un nouveau stade
- Le remboursement ou le transfert de dizaines de milliers de billets
- La relocalisation des équipes et des staffs
- L’adaptation des plans de sécurité et de transport
Un casse-tête à quelques mois du coup d’envoi.
Garde nationale et ICE : un climat de tension dans les villes
Dans certaines métropoles démocrates, notamment Los Angeles, des unités de la Garde nationale ont été déployées avec pour mission officielle de « rétablir l’ordre ». Les maires locaux dénoncent une ingérence politique. En parallèle, les opérations coups de poing des agents de l’immigration (ICE) se multiplient à travers le pays.
Pour la communauté latino, particulièrement présente dans les régions où se joueront de nombreux matchs, c’est la peur qui domine. Nombreux sont ceux qui hésitent désormais à sortir dans la rue, à aller travailler, ou même à réserver leur place pour la Coupe du Monde. L’ambiance festive tant attendue risque de laisser place à un climat lourd, presque militaire dans certaines zones.
Les voisins sous pression : Canada et Mexique dans le viseur
L’organisation conjointe à trois pays était déjà une première historique. Avec Donald Trump, elle vire à la crise diplomatique larvée. Droits de douane punitifs, menaces d’annexion du Canada (même sur le ton de la plaisanterie, le message passe mal), et jusqu’à l’éventualité de frappes militaires contre les cartels au Mexique.
Le tirage au sort prévu ce vendredi à Washington sera l’occasion de rencontres au sommet. Le Premier ministre canadien Mark Carney et la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum ont confirmé leur présence. Des discussions bilatérales sont au programme, dans un contexte particulièrement tendu.
Car au-delà des déclarations officielles, chacun sait que la réussite de cette Coupe du Monde repose sur une coopération sans faille entre les trois pays. Or, chaque nouveau tweet présidentiel, chaque nouvelle mesure restrictive vient fragiliser un peu plus cette entente fragile.
Vers un Mondial sous haute tension ?
Annuler purement et simplement la tenue de la compétition aux États-Unis semble inimaginable : les contrats sont signés, les investissements colossaux, l’image de la FIFA en jeu. Mais organiser le plus grand événement sportif mondial dans un pays qui ferme ses portes et menace de tout bouleverser à la dernière minute relève du défi titanesque.
Les supporters, les joueurs, les entraîneurs, les journalistes : tous retiennent leur souffle. Restera-t-il assez de temps pour déminer la situation ? Le « pass FIFA » suffira-t-il à rassurer les millions de voyageurs ? Les villes menacées garderont-elles leurs matchs ? Et surtout, la fête du football ne va-t-elle pas tourner au règlement de comptes politique ?
Une chose est sûre : la Coupe du Monde 2026 s’annonce comme aucune autre. Pas seulement pour son format inédit à 48 équipes ou sa répartition sur trois pays. Mais parce qu’elle se jouera, pour la première fois, sous la menace directe et quotidienne d’un président prêt à tout pour imposer sa vision d’une Amérique barricadée. Le ballon rond n’a jamais été aussi politique.
Rendez-vous dans six mois pour savoir si le plus beau des tournois survivra au plus imprévisible des hôtes.









