Imaginez la scène : à quelques jours d’une élection décisive au Honduras, l’homme le plus suivi sur Truth Social, Donald Trump, décide de prendre la parole. Pas pour parler des États-Unis, non. Pour dire aux Honduriens pour qui voter. Mercredi soir, il a désigné son favori : Nasry Asfura, candidat du Parti national, « le seul vrai ami de la liberté ».
Cette sortie n’est pas anodine. Elle tombe comme un coup de tonnerre dans un pays déjà sous tension, où trois candidats se disputent la présidence dans un climat de violence et d’incertitude. Et elle rappelle que, pour Trump, l’Amérique latine reste une zone d’influence où Washington peut, et doit, peser de tout son poids.
Une ingérence assumée à trois jours du scrutin
Sur Truth Social, le message est clair et direct. Donald Trump affirme qu’il pourrait parfaitement travailler avec « Tito » Asfura pour combattre ce qu’il appelle les « narcocommunistes ». En revanche, il prévient : avec Rixi Moncada, la candidate de gauche, aucune collaboration possible. Quant à Salvador Nasralla, le populaire présentateur télé, il n’a tout simplement « pas confiance ».
Ces déclarations interviennent alors que les Honduriens votent dimanche pour élire à la fois leur président et leurs députés. Un scrutin à un seul tour, où chaque voix comptera. Et où l’ombre de l’ancien président américain plane désormais lourdement.
« Tito et moi pouvons travailler ensemble pour lutter contre les narcocommunistes et apporter au peuple du Honduras l’aide dont il a besoin. »
Donald Trump, Truth Social
Qui est Nasry « Tito » Asfura, le protégé de Trump ?
Nasry Asfura, surnommé Tito, n’est pas un inconnu. Maire de Tegucigalpa depuis 2014, il représente le Parti national, formation de droite historiquement liée aux élites économiques. Populaire dans certains quartiers grâce à ses chantiers d’infrastructures, il traîne aussi des casseroles : il a été cité dans des affaires de détournement de fonds publics, bien qu’aucune condamnation n’ait été prononcée.
Son programme ? Continuité libérale, main dure contre les gangs, rapprochement avec les États-Unis. Exactement le profil qui plaît à Trump, qui voit en lui un rempart contre ce qu’il perçoit comme une menace communiste rampante en Amérique centrale.
Rixi Moncada, la candidate que Trump rejette
En face, Rixi Moncada incarne le camp de la gauche unie derrière le parti Libre de l’ancienne première dame Xiomara Castro (présidente sortante, épouse de l’ex-président Zelaya renversé en 2009). Avocate de formation, ancienne ministre, elle défend un programme social, la lutte contre la corruption et une renégociation des accords avec le FMI.
Pour Trump, elle représente tout ce qu’il exècre : une gauche qu’il associe, sans nuance, au Venezuela de Nicolás Maduro et au « narcotrafic ». Le parallèle est fait sans détour : laisser gagner Moncada, c’est selon lui offrir un nouveau pays aux « narcoterroristes ».
Salvador Nasralla, l’outsider qui dérange tout le monde
Et puis il y a Salvador Nasralla. Ancien présentateur vedette de télévision, connu pour son franc-parler et ses coups d’éclat, il se présente comme l’homme du centre. Charismatique, il peut mordre sur les deux électorats. Mais Trump le balaie d’une phrase : « Je ne lui fais pas confiance ».
Ce désaveu public pourrait coûter cher à Nasralla, très sensible à son image médiatique. Car aux yeux de nombreux Honduriens, être dans le viseur de Trump peut aussi… renforcer sa popularité anti-impérialiste.
Le Honduras, un pays au bord du gouffre
Pour comprendre l’impact de cette intervention, il faut regarder la réalité hondurienne. Le pays est l’un des plus violents d’Amérique latine hors zone de guerre. Les gangs Mara Salvatrucha et Barrio 18 contrôlent des quartiers entiers. Le trafic de drogue vers les États-Unis transite massivement par son territoire.
Plus de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les ouragans dévastateurs de 2020 ont achevé de ruiner l’économie. Et la corruption gangrène tous les niveaux de l’État – l’actuel président du Congrès vient d’ailleurs d’être condamné aux États-Unis pour blanchiment de narco-dollars.
Le saviez-vous ? Le Honduras affiche un taux d’homicides de plus de 38 pour 100 000 habitants – l’un des plus élevés au monde. À titre de comparaison, la France est à environ 1,2.
Lien avec le Venezuela : obsession trumpienne
Dans son message, Trump établit un parallèle direct entre le Honduras et le Venezuela. « Maduro et les narcoterroristes vont-ils s’emparer d’un autre pays ? », écrit-il. Une rhétorique qui n’est pas nouvelle : depuis des années, il présente l’Amérique latine comme un champ de bataille idéologique où chaque élection est un domino.
Et il ne fait pas que parler. Les États-Unis ont déployé dans les Caraïbes leur plus grand porte-avions, l’USS Gerald Ford, accompagné d’une flotte impressionnante dans le cadre d’opérations antidrogue. Officiellement, il s’agit de lutter contre le narco-trafic. Mais tout le monde comprend que le message s’adresse aussi à Caracas… et désormais à Tegucigalpa.
Une doctrine interventionniste sans complexe
Donald Trump ne s’est jamais caché de considérer l’Amérique latine comme le « jardin arrière » des États-Unis. L’aide américaine ? Conditionnée. Les relations diplomatiques ? Basées sur les affinités personnelles avec les dirigeants. La pression militaire ? Assumee.
Cette posture rappelle les heures les plus sombres de la guerre froide, quand Washington soutenait dictatures et coups d’État pour barrer la route au communisme. Sauf qu’aujourd’hui, l’ennemi a un nouveau nom : le « narcocommunisme ».
« L’Amérique latine fait partie de la sphère d’influence des États-Unis. »
Une phrase que Trump n’a jamais prononcée textuellement… mais que ses actes crient haut et fort.
Quel impact réel sur l’élection de dimanche ?
La question que tout le monde se pose : l’intervention de Trump va-t-elle influencer le vote ? Les sondages sont serrés, souvent peu fiables. Mais plusieurs éléments jouent :
- Une partie de l’électorat hondurien reste très pro-américain et sensible aux messages venus de Washington.
- L’Église évangélique, influente, penche traditionnellement à droite et pourrait relayer le message.
- Mais l’effet boomerang existe : beaucoup de Honduriens supportent mal l’ingérence étrangère, surtout quand elle vient d’un Trump perçu comme arrogant.
En 2021 déjà, la candidate de gauche Xiomara Castro avait surfé sur un discours anti-impérialiste pour l’emporter. Rixi Moncada pourrait bien récupérer le même ressentiment.
Vers une nouvelle crise post-électorale ?
Le risque est réel. Le Honduras a connu des fraudes massives en 2017, suivies de manifestations réprimées dans le sang. Si le résultat est serré dimanche, et si Trump continue d’intervenir, la rue pourrait s’enflammer.
Déjà, des voix s’élèvent pour dénoncer une « ingérence inacceptable ». Des collectifs de gauche appellent à manifester. Et sur les réseaux sociaux honduriens, le hashtag #FueraTrump commence à circuler.
| Candidat | Parti | Position de Trump |
| Nasry Asfura | Parti national (droite) | Soutien total – « ami de la liberté » |
| Rixi Moncada | Libre (gauche) | Rejet – « impossible de travailler avec elle » |
| Salvador Nasralla | Parti libéral (centre) | Méfiance – « je ne lui fais pas confiance » |
Dimanche soir, quand les premiers résultats tomberont, le monde aura les yeux rivés sur Tegucigalpa. Et sur Washington. Car ce qui se joue au Honduras dépasse largement ses frontières : c’est la question de savoir si, en 2025, un ancien président américain peut encore, à lui seul, faire basculer une élection en Amérique latine.
Une chose est sûre : Donald Trump n’a pas fini de faire parler de lui. Et le Honduras risque de payer le prix de cette visibilité imposée.









