Imaginez une soirée où le silence du jeûne se brise sous les éclats de rire et les rythmes frénétiques des tambours. À Bagdad, alors que le soleil se couche et que le Ramadan enveloppe la ville, un jeu ancestral transforme les nuits en une explosion de joie et de suspense. Ce n’est pas du football qui attire les foules dans les stades, mais une tradition bien plus ancienne : le Mheibes, un défi où trouver une bague dissimulée devient une quête aussi captivante qu’un thriller.
Un Héritage Ottoman au Cœur de l’Irak
Le Mheibes, dont le nom dérive du terme Mahbas – une chevalière ornée d’une pierre, portée fièrement par beaucoup d’hommes irakiens – n’est pas un simple passe-temps. Ses racines plongent dans le Bagdad du XVIe siècle, sous l’Empire ottoman. D’après une source proche, un expert du folklore local confirme que ce jeu d’équipe, où l’objectif est de deviner qui cache la bague, est né à cette époque, mêlant ruse et observation dans une ambiance festive.
Ce n’est pas qu’une question de chance. Les joueurs, souvent une quarantaine par équipe, se regroupent sous un tissu pour dissimuler l’anneau, puis s’assoient, impassibles, tandis que le capitaine adverse scrute chaque geste, chaque regard. Dix minutes pour percer le mystère, sans droit à l’erreur : voilà qui transforme une soirée ordinaire en un spectacle palpitant.
Une Tradition qui Rassemble
Dans un pays marqué par des décennies de conflits, le Mheibes est bien plus qu’un jeu. « C’est notre patrimoine, une passion qui coule dans nos veines », confie un vétéran du jeu, figure emblématique devenue président d’une fédération nationale. Pendant le Ramadan, ce loisir unit les Irakiens au-delà des divisions, qu’ils viennent des quartiers chiites ou sunnites de la capitale.
« Les Irakiens adorent le football, mais juste après, il y a le Mheibes. C’est dans notre sang. »
– Un capitaine d’équipe de Bagdad
Un exemple marquant ? Une partie mémorable sur un pont reliant deux quartiers autrefois séparés par la violence. Sunnites et chiites, réunis par la même passion, ont joué sous les étoiles, défiant les cicatrices du passé. Ce soir-là, le Mheibes a prouvé qu’il pouvait construire des ponts là où les conflits les avaient brisés.
Les Règles : Simples mais Intenses
Le Mheibes repose sur une mécanique à la fois accessible et redoutable. Une équipe cache la bague, l’autre doit la trouver. Voici comment ça se passe :
- Un groupe se réunit sous une toile pour passer l’anneau en secret.
- Les joueurs s’installent, visages fermés, poings serrés ou bras croisés.
- Le capitaine adverse a dix minutes pour désigner le détenteur, sans se tromper.
Un point est marqué à chaque échec. Le suspense est total, amplifié par les cris du public et les notes des trompettes. Dans les gradins, on retient son souffle, on applaudit, on vibre. Ce n’est pas juste un jeu, c’est un art de la psychologie et de l’endurance.
Un Renouveau Après les Crises
Les années sombres de l’Irak – guerre confessionnelle, attentats, enlèvements – ont failli éteindre cette tradition. Pourtant, même dans les cafés, au cœur des violences, les irréductibles continuaient à jouer. C’est la pandémie de coronavirus qui a véritablement mis le Mheibes en pause, forçant les amateurs à ranger leurs bagues. Mais depuis, le retour est triomphal.
En cette soirée de mars, plus de 500 passionnés remplissent un stade de Bagdad. Les équipes s’affrontent avec ferveur : un quartier du nord contre une ville du sud, une rivalité amicale portée par les rythmes endiablés des tambours. Le public scande des encouragements, et l’énergie est contagieuse.
Des Compétitions qui Font Vibrer le Pays
Avec près de 400 équipes à travers l’Irak, le Mheibes est un phénomène national. Chaque année, des tournois réunissent une quarantaine de formations, dont dix représentent Bagdad. Les matchs peuvent durer des heures – parfois toute une nuit ! – et les émotions sont à fleur de peau. Certains participants en viennent même aux mains, tant la passion est vive.
Ville | Équipe | Spécificité |
Bagdad | Kadhimiya | Experts en bluff |
Bassora | Port du Sud | Endurance légendaire |
Nassiriya | Sud rural | Supporters survoltés |
Ces compétitions ne sont pas qu’un divertissement. Elles célèbrent une identité, un lien indéfectible avec le passé. Pour beaucoup, c’est une façon de retrouver la joie dans un quotidien souvent rude.
Un Jeu dans l’Âme Irakienne
Pour les joueurs, le Mheibes commence souvent dans l’enfance. « J’avais 11 ans quand j’ai découvert ça avec mon père », raconte un capitaine expérimenté. Cette transmission familiale fait du jeu une véritable institution, presque une religion parallèle au Ramadan. Et si le football reste roi, le Mheibes n’est jamais loin derrière.
Un participant originaire du sud se souvient d’une nuit mémorable où une partie contre une équipe de la capitale s’est éternisée jusqu’à l’aube. « On apprend en jouant, avec les amis, la famille », explique-t-il. Cette simplicité, mêlée de ferveur, garantit au Mheibes une place éternelle dans le cœur des Irakiens.
Vers une Reconnaissance Mondiale ?
Le rêve de certains ? Voir le Mheibes conquérir le monde, comme le football brésilien. « Il a 300 ou 400 ans, et il mérite d’être connu », affirme un leader du jeu. Avec son vocabulaire teinté de turc ottoman et son universalité – suspense, stratégie, convivialité –, il a tout pour séduire au-delà des frontières irakiennes.
Et si le Mheibes devenait le prochain phénomène mondial ? Imaginez des tournois en Europe, des stades pleins à craquer, et une bague cachée au cœur de l’action.
Pour l’instant, il reste un trésor local, un rituel qui illumine les nuits du Ramadan. Mais qui sait ? Peut-être qu’un jour, vous aussi, vous scruterez des visages impassibles pour dénicher une chevalière cachée.