Imaginez une soirée ordinaire dans une petite épicerie de quartier, où des amis se réunissent pour regarder un match de football. Soudain, des hommes armés font irruption, et en quelques secondes, trois vies s’éteignent dans une explosion de violence. Cette scène, digne d’un film noir, s’est déroulée en 2016 dans la cité Bassens, à Marseille. Neuf ans plus tard, la justice a tranché : trois hommes, impliqués dans le narcobanditisme, ont été condamnés à 30 ans de réclusion criminelle pour ce triple assassinat. Mais que révèle cette affaire sur la guerre des clans et la criminalité organisée dans la cité phocéenne ? Plongeons dans les détails d’un dossier qui secoue encore les esprits.
Une Fusillade dans l’Épicerie de Bassens : Retour sur les Faits
Le 2 avril 2016, la cité Bassens, située dans les quartiers nord de Marseille, bascule dans l’horreur. Dans une épicerie de quartier, une quinzaine de personnes regardent un match de football à la télévision. L’ambiance est détendue, jusqu’à ce qu’un commando armé fasse irruption. Deux hommes d’une trentaine d’années, ciblés par les assaillants, sont abattus à bout portant, criblés de balles. Un troisième, un jeune chauffeur routier de 21 ans, est touché par une balle perdue et succombe à ses blessures. Trois autres personnes sont blessées dans la fusillade. Ce drame, qualifié à l’époque d’Everest de folie meurtrière, marque un tournant dans la perception de la violence à Marseille.
Ce n’était pas un acte isolé. Cette tuerie s’inscrit dans un cycle de violences opposant deux clans rivaux, surnommés les « blacks » et les « gitans », luttant pour le contrôle des points de deal dans les cités marseillaises. Ce conflit, alimenté par le narcotrafic, a transformé certains quartiers en champs de bataille où la vie humaine semble parfois ne plus avoir de valeur.
Le Contexte : Une Guerre de Territoires
À Marseille, le narcotrafic n’est pas seulement une activité criminelle ; c’est une économie parallèle qui structure certains quartiers. Les quartiers nord, comme Bassens, sont particulièrement touchés par ces luttes de pouvoir. Les clans s’affrontent pour dominer les réseaux de vente de stupéfiants, générant des revenus colossaux mais aussi des rivalités sanglantes. La fusillade de 2016 n’était pas un acte spontané, mais une réponse calculée à un autre triple assassinat survenu en 2011, où des proches des accusés avaient perdu la vie.
« Une folie meurtrière inadmissible qui interpelle sur l’état d’inhumanité de ses auteurs. »
Un procureur, commentant l’affaire en 2016
Ce cycle de vendettas illustre la spirale de violence qui gangrène certains quartiers. Les enquêteurs ont rapidement établi que l’attaque de l’épicerie visait à éliminer des membres d’un clan adverse, dans une logique de représailles. Mais la mort du jeune chauffeur routier, une victime collatérale, a ajouté une dimension tragique à l’affaire, soulignant l’absurdité de cette guerre.
Les Accusés : Profils et Stratégies de Défense
Neuf ans après les faits, trois hommes ont été jugés devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence. Lenny Albarello, surnommé « Bobotte », 28 ans, et Mehdi Lekhetari, 39 ans, étaient présents au procès. Le troisième accusé, Driss Allouche, en fuite, a été jugé par défaut, un mandat d’arrêt ayant été émis contre lui. Les trois hommes, tous en récidive légale, étaient accusés d’avoir formé le commando responsable de la fusillade.
Le dossier repose sur des éléments complexes : des données téléphoniques, des témoignages anonymes et des reconnaissances par des témoins. Pourtant, les accusés ont nié en bloc. Albarello et Lekhetari ont contesté leur implication, arguant que les preuves étaient fragiles. Allouche, quant à lui, a affirmé avoir été blessé accidentellement lors d’un achat de cannabis à Bassens, et non en participant à l’attaque. Cette défense, bien que peu crédible aux yeux de l’accusation, montre la difficulté de prouver des faits dans un milieu où le silence est la règle.
Dans le narcobanditisme, les preuves matérielles sont rares. Les témoins, souvent intimidés, préfèrent se taire, et les accusés savent jouer de cette opacité pour semer le doute.
Le Verdict : 30 Ans de Réclusion
Après un procès tendu, débuté le 12 mai 2025, la cour a rendu son verdict : 30 ans de réclusion criminelle pour chacun des trois accusés, assortis d’une période de sûreté des deux tiers. Cette peine, bien que sévère, est inférieure à la réclusion à perpétuité requise par l’avocat général. Les avocats des accusés, qui plaidaient l’acquittement, ont dénoncé un dossier basé sur des preuves indirectes. Mais pour la cour, les éléments réunis – téléphonie, témoignages et indices matériels – suffisaient à établir la culpabilité.
Ce verdict soulève des questions. Pourquoi la cour n’a-t-elle pas suivi la réquisition du procureur ? Certains observateurs s’interrogent sur les motivations des juges, notamment face à la gravité des faits et au passé des accusés. Voici les points clés du jugement :
- Peine de 30 ans : Une sanction lourde, mais pas maximale, reflétant peut-être une volonté de différencier les rôles des accusés.
- Période de sûreté : Les deux tiers, soit 20 ans incompressibles, garantissent une longue incarcération.
- Récidive légale : Les antécédents criminels des accusés ont pesé dans la balance.
Un Dossier Complexe et une Enquête Semée d’Embûches
L’enquête sur cette affaire n’a pas été simple. Les enquêteurs ont dû composer avec un milieu fermé, où la loi du silence prévaut. Les renseignements anonymes ont joué un rôle crucial, notamment pour identifier un individu surnommé le « donneur de go », qui aurait signalé la présence des victimes dans l’épicerie. Cet homme, clé dans l’affaire, a été assassiné deux mois après la fusillade, après avoir échappé à une première tentative de meurtre. Ce rebondissement illustre la brutalité du milieu du narcotrafic, où même les informateurs risquent leur vie.
Le procès lui-même a été marqué par des incidents. Initialement prévu en février 2024, il a été reporté après une violente agression subie par Lenny Albarello en prison. Cet événement montre à quel point les tensions restent vives, même derrière les barreaux.
Marseille face à la Violence : Un Problème Persistant
Cette affaire dépasse le cadre d’un simple fait divers. Elle met en lumière les défis auxquels Marseille fait face depuis des décennies : la criminalité organisée, le trafic de drogue et l’insécurité dans certains quartiers. Les cités comme Bassens sont devenues des symboles de cette violence, où des adolescents, parfois très jeunes, sont recrutés comme « sicarios » (tueurs à gages) pour des sommes dérisoires.
« On peut mourir pour un regard de travers. »
Un habitant de Marseille, décrivant l’ultraviolence dans certains quartiers
Les habitants des quartiers nord vivent dans un climat de peur, où les règlements de comptes sont devenus presque banals. Selon les chiffres officiels, Marseille a enregistré une trentaine de règlements de comptes liés au narcotrafic en 2024. Cette réalité pousse les autorités à renforcer les moyens de lutte contre le trafic, mais les résultats tardent à se concrétiser.
Année | Règlements de comptes à Marseille |
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2020 | 25 |
2022 | 32 |
2024 | 30 |
Les Répercussions sur la Société Marseillaise
Chaque règlement de comptes laisse des cicatrices dans la communauté. Les familles des victimes, comme celle du jeune chauffeur routier, pleurent une perte insensée. Les habitants, eux, oscillent entre résignation et colère face à une violence qui semble hors de contrôle. Les autorités locales, malgré des efforts pour renforcer la présence policière, peinent à endiguer le phénomène. Les plans anti-stupéfiants, lancés à plusieurs reprises, n’ont pas réussi à démanteler les réseaux les plus puissants.
Pourtant, des initiatives émergent. Des associations locales travaillent à offrir des alternatives aux jeunes tentés par l’argent facile du narcotrafic. Éducation, sport et insertion professionnelle sont au cœur de ces programmes, mais leur impact reste limité face à l’ampleur du problème.
Que Faire pour Briser le Cycle ?
La question est complexe. La lutte contre le narcotrafic nécessite une approche globale, combinant répression et prévention. Voici quelques pistes envisagées :
- Renforcement policier : Augmenter les effectifs et les moyens dans les quartiers sensibles.
- Prévention auprès des jeunes : Développer des programmes pour éloigner les adolescents des réseaux criminels.
- Coopération internationale : Lutter contre les filières d’approvisionnement en stupéfiants, souvent internationales.
- Justice implacable : Des peines exemplaires pour dissuader les futurs criminels.
Mais au-delà des mesures concrètes, c’est un changement de mentalité qui est nécessaire. Les habitants de Marseille aspirent à vivre dans une ville où la peur ne dicte pas leur quotidien. Le chemin est long, mais chaque condamnation, comme celle de cette affaire, envoie un signal : la justice, même lente, finit par rattraper les coupables.
Un Drame qui Interroge l’Avenir
L’affaire de la cité Bassens est plus qu’un fait divers : c’est le reflet d’une société fracturée, où la violence et le trafic de drogue prospèrent sur fond de désespoir et de marginalisation. Les 30 ans de réclusion prononcés contre les trois accusés ne ramèneront pas les victimes, mais ils rappellent que la justice reste un rempart contre l’impunité. Pourtant, tant que les racines du problème – pauvreté, exclusion, absence de perspectives – ne seront pas traitées, d’autres drames risquent de survenir.
Alors, comment sortir de ce cycle infernal ? La réponse ne réside pas seulement dans les tribunaux ou les commissariats, mais dans une mobilisation collective pour redonner espoir aux habitants des quartiers les plus touchés. L’histoire de Bassens, aussi tragique soit-elle, doit servir de catalyseur pour un changement durable.