Un amendement voté dans la nuit de mercredi à jeudi au Sénat fait couler beaucoup d’encre et soulève l’indignation des syndicats. Baptisé « contribution de solidarité », il vise à faire travailler les salariés du privé comme du public 7 heures de plus par an, sans être rémunérés. Une mesure choc censée redresser les comptes de la Sécurité sociale, mais qui risque de mettre le feu aux poudres socialement. Décryptage d’une proposition explosive.
7 heures travaillées en plus, sans un centime gagné
C’est donc 7 heures de labeur supplémentaire que les salariés français devraient effectuer chaque année, selon cet amendement adopté en catimini par les sénateurs. Une journée de travail offerte gracieusement, sous couvert de « contribution de solidarité ». Un cadeau empoisonné aux allures de corvée, qui ne sera pas payée le moins du monde.
Concrètement, cela représenterait environ 14 heures de travail non rémunérées tous les deux ans pour chaque employé, du simple ouvrier au cadre supérieur. Qu’il soit du secteur privé ou agent public, personne n’y échapperait. Une mesure présentée comme nécessaire pour assainir les finances de l’État et de la Sécu, malgré un déficit record.
Des comptes dans le rouge vif
Car l’heure est grave côté budget. Le « trou de la Sécu » n’a jamais été aussi abyssal, avec un déficit de près de 18 milliards d’euros en 2023 selon les dernières estimations. Sans parler de la dette publique qui frôle dangereusement les 3 000 milliards d’euros, un record. Des chiffres vertigineux qui poussent le gouvernement à chercher des solutions radicales pour renflouer les caisses.
Ce n’est pas forcément de gaîté de cœur qu’on fait cette proposition, c’est toujours compliqué […] mais c’est utile, aujourd’hui il nous faut trouver des moyens.
Élisabeth Doineau, sénatrice centriste et rapporteure du budget de la Sécu
Un choix cornélien donc pour l’exécutif, tiraillé entre maîtrise des dépenses et paix sociale. Car cette « contribution » risque de passer pour une provocation auprès de salariés déjà échaudés par les récentes réformes du travail (retraites, assurance chômage…). Sans parler de l’inflation galopante qui érode leur pouvoir d’achat.
Vers une nouvelle grève générale ?
Pas étonnant dès lors que les syndicats montent au créneau, dénonçant un « scandale » et une « honte ». De la CFDT à la CGT en passant par FO, tous promettent une riposte musclée si le gouvernement osait aller au bout.
Si cet amendement scélérat était retenu, ce serait une déclaration de guerre. Nous appellerions immédiatement à une grève interprofessionnelle.
Un leader syndical
Le spectre d’un nouveau 1995 et de ses grandes grèves plane. À l’époque déjà, le plan Juppé et sa fameuse « contribution exceptionnelle » de 0,5% avaient mis le pays à l’arrêt pendant des semaines. Preuve que cette histoire de travail gratuit reste un sujet explosif plus de 25 ans après.
Le patronat se frotte les mains
À l’inverse, le Medef et consorts applaudissent des deux mains cet amendement. Une aubaine pour les entreprises, qui verraient leur masse salariale allégée sans lever le petit doigt. Des heures travaillées gratis, cela représente autant d’économies directes sur le dos des employés. Le rêve pour tout employeur soucieux de ses coûts.
C’est une excellente mesure qui va dans le bon sens. Il faut récompenser le travail et l’effort, tout en assurant notre compétitivité. Les entreprises en ont besoin.
Un représentant du patronat
Un satisfecit d’autant plus juteux que le dispositif serait imposé par la loi. Pas besoin donc de fastidieuses négociations de branche ou d’entreprise : le tour de passe-passe se ferait tout seul, par la magie de l’amendement sénatorial. Déjà rôdées aux heures supplémentaires détaxées, les entreprises trouveraient là une martingale encore plus avantageuse.
Bras de fer en vue à l’Assemblée
Mais tout n’est pas joué. Pour s’appliquer, cette mesure devra encore être validée en commission mixte paritaire, puis approuvée lors du vote solennel sur l’ensemble du budget de la Sécu. Autant d’étapes qui s’annoncent périlleuses, tant le sujet divise.
Droite et centre y sont globalement favorables, y voyant un juste « effort de solidarité nationale ». La gauche dénonce un « cadeau au patronat » et une « provocation inutile ». Quant au groupe présidentiel, il tangue entre malaise et opportunisme. Résultat des courses incertain, sur fond de fronde sociale.
Et concrètement, ça donnerait quoi ?
Dans les entreprises, l’amendement laisse une certaine latitude d’application. La « contribution » pourrait être lissée tout au long de l’année, au rythme de 35 minutes de travail gratuit par mois. Ou concentrée sur une seule journée de 7 heures, par exemple lors du lundi de Pentecôte qui redeviendrait férié.
Dans la fonction publique, cela pourrait passer par la suppression d’une journée de RTT. Les enseignants verraient leur temps dû à l’éducation nationale augmenter d’autant.
Partout, cela supposerait de revoir contrats de travail, accords 35 heures, conventions collectives…Un vrai casse-tête juridique et RH, pour un gain politique plus qu’hypothétique. De quoi donner des sueurs froides à bien des DRH et des directeurs financiers.
Vers un abandon de la mesure ?
Face au tollé syndical et au flou pratique, le gouvernement pourrait reculer. Déjà, certains ministres prennent leurs distances, conscients du potentiel explosif du dispositif. Côté Medef, on temporise aussi, de peur de braquer les partenaires sociaux.
Nous sommes ouverts à la discussion mais pas à ce stade. Il faut responsabiliser mais ne pas humilier. Le dialogue social doit primer.
Un proche du président du Medef
Arbitrage cornélien pour l’exécutif, qui devra trancher d’ici le vote solennel à l’Assemblée début décembre. Retirer l’amendement au risque de se couper de sa base de droite, ou le maintenir et affronter la rue ? Pari risqué dans les deux cas.
Une chose est sûre : le débat sur le temps de travail, les salaires et le partage de la richesse n’est pas près de s’éteindre. Et ce n’est pas une obscure contribution qui y changera grand chose. À moins de vouloir jeter de l’huile sur le feu social, déjà bien vif en ces temps troublés.