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Travail Épuisant des Journaliers Agricoles à Mushaki

Chaque matin à l’aube, des dizaines d’hommes, de femmes et parfois d’enfants se pressent à Mushaki, prêts à tout pour une journée de travail payée 2,5 dollars. Mais derrière les champs verdoyants du Masisi se cache une réalité beaucoup plus sombre : exploitation, corruption et menace permanente. Jusqu’où ira cette spirale de misère ?

Avant même que le soleil ne pointe au-dessus des collines verdoyantes du Masisi, ils sont déjà là. Des silhouettes fatiguées, houe sur l’épaule, qui convergent vers Mushaki, petite bourgade agricole du Nord-Kivu. Pour beaucoup, la marche a duré deux ou trois heures. Leur espoir ? Être choisis parmi la centaine de candidats pour une journée de travail harassante rémunérée à peine 2,5 dollars.

Cette scène se répète chaque matin dans l’est de la République démocratique du Congo, région à la fois bénie par une terre volcanique d’une fertilité exceptionnelle et maudite par des décennies de guerre et d’accaparement.

Une région riche, des vies brisées

Le territoire de Masisi est souvent présenté comme le grenier qui alimente Goma, la grande ville voisine. Des champs de pommes de terre et de haricots s’étendent à perte de vue, soigneusement dessinés par des générations de cultivateurs. Pourtant, ceux qui labourent cette terre n’en possèdent presque jamais la moindre parcelle.

François Mitterrand Murekezi, 61 ans, incarne cette réalité cruelle. Père de trois enfants, il marche trois heures aller-retour pour espérer gagner de quoi les nourrir. « Chez nous, la vie est trop dure. Je n’ai pas le choix », confie-t-il d’une voix lasse.

« Nous n’avons pas de champs, alors pour vivre il faut cultiver pour les autres avec le risque d’être maltraités »

Rachel Furaha, mère de sept enfants

Un système d’exploitation bien rodé

Pour être embauché, il faut parfois payer. Oui, payer pour travailler. 2 000 francs congolais (moins d’un dollar) sont exigés par certains gérants pour figurer sur la liste des journaliers retenus. Ensuite, la journée est payée 5 000 francs et quelques kilos de pommes de terre.

Tout se fait à la main. Pas de tracteur, pas de machine. Seule la force humaine, du lever au coucher du soleil. Et quand la main-d’œuvre adulte manque, ce sont les enfants qui prennent le relais.

Gisèle Uwese a 12 ans. Orpheline, elle porte des sacs de 30 kilos sur son dos pour pouvoir payer ses frais scolaires. « Je n’ai personne. C’est comme ça que je survis », murmure-t-elle entre deux respirations difficiles.

L’accaparement des terres : une histoire ancienne

Comment en est-on arrivé là ? Les racines du problème sont profondes. À l’époque coloniale belge, des travailleurs rwandais furent amenés pour exploiter ces terres riches. Depuis, les vagues migratoires n’ont jamais cessé, alimentant les tensions avec les communautés locales.

Traditionnellement, la terre appartenait à des communautés entières. Aujourd’hui, elle est concentrée entre les mains d’une poignée de grands propriétaires, souvent liés aux élites politico-militaires. Des études universitaires belges et de la FAO confirment : les guerres successives ont servi de prétexte à l’accaparement massif.

Petits paysans spoliés, bétail volé, menaces armées… Beaucoup ont fini par vendre leurs parcelles pour une bouchée de pain, se retrouvant du jour au lendemain sans rien.

Les « bambone » : ceux que l’on doit voir

C’est ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes : les bambone, un mot en kinyarwanda qui signifie littéralement « qu’on me voie ». Un appel désespéré lancé aux gérants qui, chaque matin, dressent la liste des heureux élus.

La plupart sont rwandophones, installés là depuis des générations pour certains. Exclus des mécanismes traditionnels d’accès à la terre, ils forment aujourd’hui la main-d’œuvre la plus vulnérable de la région.

Leur présence est instrumentalisée politiquement. Le M23, qui contrôle désormais une large partie du territoire, affirme vouloir protéger ces populations. Kinshasa, lui, accuse le mouvement rebelle de chercher à s’approprier terres et minerais.

Une paix fragile et déjà menacée

Début décembre, un accord de paix a été signé entre Kinshasa et Kigali. Beaucoup espéraient que cela mettrait fin au cycle infernal de violence. Mais dans le Sud-Kivu voisin, les combats ont déjà repris.

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À Mushaki, l’agriculture a repris timidement après le retrait des lignes de front. Les motos chargées de sacs de pommes de terre circulent à nouveau sur les pistes rougeâtres. Mais la menace plane toujours. Un propriétaire terrien local, surveillant ses champs, admet que le coût du transport est exorbitant sans routes dignes de ce nom.

Et pendant ce temps, les journaliers continuent d’arriver avant l’aube, espérant que leur nom sera appelé. Car pour eux, il n’y a pas d’autre solution.

Des enfants au travail, un avenir hypothéqué

Le spectacle le plus douloureux reste celui des enfants. Ils devraient être à l’école, mais la misère les pousse dans les champs dès l’âge de 8 ou 10 ans. Transporter des sacs, ramasser les pommes de terre tombées, trier… tout est bon pour gagner quelques francs.

Ces enfants grandissent sans véritable perspective. Leur corps se forme dans l’effort extrême, leurs rêves s’éteignent avant même d’avoir vu le jour. Et pourtant, ils sourient parfois, par habitude ou par résilience.

Une fertilité qui ne profite pas aux plus pauvres

Le paradoxe est saisissant. Une des terres les plus fertiles d’Afrique produit abondamment, mais ceux qui la travaillent meurent de faim. Les récoltes partent vers Goma, puis vers d’autres pays. Les bénéfices, eux, restent dans les poches des grands propriétaires et des intermédiaires.

Les journaliers, eux, rentrent le soir avec quelques kilos de pommes de terre et un corps brisé. Demain, il faudra recommencer. Car dans l’est du Congo, la terre donne beaucoup, mais elle ne donne jamais aux plus faibles.

Et tandis que le monde parle de minerais, de coltan et de conflits ethniques, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants continuent de creuser la terre à mains nues, jour après jour, pour survivre dans l’indifférence générale.

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