Le gouvernement français a une nouvelle fois martelé son opposition à l’accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), estimant qu’en l’état, il ne garantit pas des « conditions de concurrence loyale » pour les agriculteurs français et européens. Une position désormais partagée par la Pologne, qui vient d’officialiser son refus du traité.
Une opposition ferme mais pas définitive
Devant l’Assemblée nationale, la ministre française de l’Agriculture Annie Genevard a réaffirmé le rejet par la France de l’accord « tel que la Commission européenne l’envisageait », jugeant qu’il exposerait les agriculteurs à une concurrence déloyale. Pour autant, elle a nuancé en indiquant qu’il serait « irresponsable pour la France de s’opposer par anticipation et par principe à tout accord de libre-échange ».
Cette position mi-figue mi-raisin ne satisfait pas une bonne partie de la gauche et de l’extrême droite, qui souhaitent un rejet pur et simple de l’accord. L’éleveur Jérôme Bayle, figure de proue des mobilisations du début 2024, a ainsi mis en garde :
Cet accord sera la goutte d’eau qui fera exploser la colère des électeurs français si le chef de l’État ne prend pas des dispositions fortes avec l’appui des députés.
La Pologne rejoint le camp du refus
Si la France tempère son opposition, elle n’est désormais plus seule dans le camp du non. La Pologne vient en effet d’annoncer que son Conseil des ministres avait décidé de voter contre l’accord, une décision saluée par Annie Genevard et confirmée par Varsovie.
Cette alliance franco-polonaise pourrait peser dans les négociations à venir au niveau européen et inciter d’autres pays agricoles à rejoindre le mouvement. Néanmoins, il faudra encore convaincre une majorité d’États membres pour enterrer définitivement le projet.
Des agriculteurs remontés comme jamais
Sur le terrain, impossible d’ignorer la colère qui monte chez les agriculteurs français. Depuis plusieurs semaines, les actions coup de poing se multiplient aux quatre coins de l’Hexagone pour dire non à l’accord et exiger de meilleures conditions de travail et de rémunération.
Déversements de fumier et de pneus devant des sites de l’agroalimentaire et de la grande distribution, opérations escargot, blocages de camions : tous les moyens sont bons pour se faire entendre. À Strasbourg, une cinquantaine de tracteurs ont tenté de se rapprocher du Parlement européen avant d’être bloqués par les forces de l’ordre.
On nous interdit des insecticides, des herbicides, des semences OGM, des produits qu’on considère dangereux pour la santé humaine, et tous ces pays d’Amérique du Sud travaillent avec ça, à grands renforts de déforestation. C’est aberrant.
Cyril Hoffmann, agriculteur alsacien.
Même colère gersoise où des agriculteurs ont déversé boue et engrais devant un site du groupe Danone, avec l’intention d’en bloquer l’accès pour la nuit. Dans le Nord, des pancartes « Stop les papiers on en a marre » et « Ras-le-bol » ont fleuri sur des tracteurs venus bloquer la cité administrative de Lille.
Des syndicats divisés mais mobilisés
Si FNSEA et Coordination rurale, les deux premiers syndicats agricoles, se rejoignent sur le fond des revendications, notamment la possibilité d’utiliser des pesticides autorisés en Europe mais interdits en France, ils occupent le terrain en ordre dispersé, sur fond de vives tensions à l’approche des élections professionnelles de janvier.
La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont ainsi lancé leurs propres actions, visant « tout ce qui entrave la vie des agriculteurs ». À midi, environ 660 agriculteurs menaient une vingtaine d’actions dans 15 départements selon les autorités. La Confédération paysanne, 3ème syndicat, poursuit elle aussi les mobilisations à sa façon.
Malgré ces divergences, tous se retrouvent unis pour dire non à l’accord UE-Mercosur en l’état. Reste à savoir si leur voix sera entendue à Bruxelles et dans les capitales européennes. Une chose est sûre : le monde paysan n’a pas dit son dernier mot et compte bien continuer à se battre pour défendre ses intérêts face à ce qu’il considère comme une concurrence déloyale et destructrice venue d’Outre-Atlantique.