Imaginez un monde où près de la moitié de la planète, un espace aussi vaste qu’inexploré, reste sans véritable protection. C’est le cas de la haute mer, ces étendues océaniques qui n’appartiennent à aucun pays, mais dont la survie impacte chaque habitant de la Terre. Un traité historique, adopté par l’ONU en juin 2023, promet de changer la donne en protégeant ces zones cruciales pour la biodiversité marine. Mais à quoi sert ce texte, et pourquoi suscite-t-il autant d’espoir et de défis ? Plongeons dans cet enjeu planétaire.
Un traité pour protéger l’océan global
La haute mer, c’est cet espace maritime situé au-delà des zones économiques exclusives (ZEE) des États, qui s’étendent jusqu’à 200 milles nautiques (environ 370 km) des côtes. Elle représente près de 50 % de la surface terrestre, un territoire immense où la vie marine prospère, mais où les menaces s’accumulent. Le traité, signé par 116 pays et ratifié par 31 à ce jour, ambitionne de préserver cet écosystème unique. Son entrée en vigueur, prévue 120 jours après la 60e ratification, pourrait marquer un tournant pour la conservation marine.
Ce texte ne se limite pas à la surface des océans. Il englobe également les fonds marins des eaux internationales, surnommés la Zone, ainsi que leur sous-sol. Ces espaces abritent une biodiversité exceptionnelle, mais aussi des ressources convoitées, comme les minerais sous-marins. Protéger ces zones, c’est garantir un équilibre entre exploitation et préservation, une mission aussi ambitieuse que complexe.
Pourquoi ce traité est-il crucial ?
La haute mer n’est pas seulement un réservoir de vie marine ; elle joue un rôle clé dans la régulation du climat mondial. Les océans absorbent une grande partie du CO2 et produisent la moitié de l’oxygène que nous respirons. Pourtant, ils sont menacés par la surpêche, la pollution, et l’exploitation minière sous-marine. Ce traité vise à instaurer des mesures concrètes pour :
- Préserver la biodiversité marine à court et long terme.
- Créer des aires marines protégées dans des zones sensibles.
- Encadrer l’exploitation des ressources génétiques marines.
- Imposer des études d’impact avant toute activité en haute mer.
Ces objectifs ne sont pas anodins. Ils répondent à l’urgence de protéger des écosystèmes fragiles face à des pressions croissantes. Mais leur mise en œuvre soulève des questions : comment appliquer des règles dans un espace aussi vaste et sans frontières ?
Les aires marines protégées : un outil phare
L’un des piliers du traité est la création d’aires marines protégées en haute mer. Ces sanctuaires, déjà courants dans les eaux territoriales, seraient une première dans les eaux internationales. Leur rôle ? Protéger des zones uniques, fragiles ou essentielles pour des espèces menacées. La future Conférence des parties (COP), l’organe décisionnel du traité, aura la charge de proposer et de créer ces zones sur des bases scientifiques.
« Les aires marines protégées sont des refuges pour la biodiversité. Elles permettent aux écosystèmes de se régénérer face aux pressions humaines. »
Mais créer ces zones ne suffit pas. Leur gestion pose un défi logistique. Comment surveiller des milliers de kilomètres carrés loin des côtes ? Chaque État restera responsable des activités sous sa juridiction, comme les navires battant son pavillon. Les décisions de la COP, prises par consensus ou à la majorité des trois quarts en cas de blocage, devront être appliquées dans un contexte où les intérêts divergent.
Ressources génétiques : un partage équitable ?
La haute mer regorge de ressources génétiques marines : végétaux, animaux, microbes dont le matériel génétique peut être utilisé, notamment par l’industrie pharmaceutique. Ces ressources, qui n’appartiennent à personne, sont une manne potentielle. Le traité instaure un principe de partage juste et équitable des avantages tirés de leur exploitation, une mesure visant à ne pas léser les pays en développement.
Ce partage inclut :
- Accès aux échantillons et données génétiques via une plateforme en open access.
- Transferts de technologies vers les pays moins avancés.
- Redistribution des revenus issus de l’exploitation commerciale.
Cette approche vise à démocratiser l’accès à des ressources souvent monopolisées par les pays riches. Mais la mise en œuvre reste floue : qui contrôlera ce partage, et comment éviter les abus ?
Études d’impact : une précaution nécessaire
Avant toute activité en haute mer, les États devront réaliser des études d’impact si les conséquences potentielles dépassent des effets « mineurs et transitoires ». Ces évaluations, suivies de rapports réguliers, visent à limiter les dommages environnementaux. Cependant, la décision d’autoriser une activité revient à l’État concerné, et non à la COP, ce qui suscite des critiques.
Les activités concernées pourraient inclure la pêche, le transport maritime, l’exploitation minière, ou même des techniques de géoingénierie marine pour lutter contre le réchauffement climatique. Seules les activités militaires sont explicitement exclues. Cette flexibilité laisse une marge de manœuvre aux États, mais pourrait affaiblir l’efficacité du traité.
Un océan morcelé : les défis de la gouvernance
La haute mer n’est pas un espace vierge de régulation. Plusieurs organisations, comme les organisations régionales de pêche ou l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), y exercent déjà une autorité. L’AIFM, par exemple, délivre des contrats pour l’exploration minière et travaille sur un code minier. La future COP devra collaborer avec ces entités, une tâche compliquée par des intérêts parfois divergents.
Organisation | Rôle |
---|---|
Organisations régionales de pêche | Gèrent les ressources halieutiques en haute mer. |
Autorité internationale des fonds marins | Régule l’exploration et l’exploitation minière sous-marine. |
La situation se complique encore avec des décisions unilatérales, comme celle de certains pays d’accélérer les permis d’extraction minière en haute mer. Ces initiatives pourraient miner l’autorité de la COP et fragmenter davantage la gouvernance océanique.
Un traité à la croisée des chemins
Le traité pour protéger la haute mer est une avancée majeure, mais son succès dépendra de sa mise en œuvre. Avec seulement 31 ratifications à ce jour, l’objectif des 60 nécessaires reste un défi, d’autant que certains pays pourraient retarder leur engagement pour des raisons économiques. La conférence de l’ONU sur les océans, organisée cette année à Nice, est une occasion de relancer la dynamique.
« Protéger la haute mer, c’est protéger l’avenir de l’humanité. Mais cela demande une coopération sans précédent. »
Les obstacles sont nombreux : coordination internationale, surveillance des vastes étendues marines, et pressions économiques. Pourtant, l’enjeu est clair : préserver un bien commun essentiel à la vie sur Terre. Ce traité pourrait devenir un modèle d’une gouvernance écologique mondiale, ou un simple vœu pieux. Tout dépendra de la volonté collective.
En attendant, les océans continuent de crier à l’aide. Chaque jour sans action rapproche un peu plus de la perte irréversible d’une biodiversité unique. Le compte à rebours est lancé : la haute mer aura-t-elle enfin la protection qu’elle mérite ?