Imaginez-vous réveillé en sursaut par un grondement sourd, comme si la montagne elle-même décidait de se jeter à l’eau. C’est exactement ce qui s’est passé lundi à l’aube dans le petit port fluvial d’Iparia, au cœur de l’Amazonie péruvienne. Un glissement de terrain colossal a tout emporté sur son passage, coulant instantanément deux embarcations et plongeant des dizaines de personnes dans les eaux tumultueuses du fleuve Ucayali.
Une catastrophe qui frappe les plus vulnérables
Le bilan, encore provisoire, fait froid dans le dos. Douze personnes ont perdu la vie, parmi lesquelles quatre enfants. Entre trente et trente-six autres sont toujours portées disparues. La grande majorité des victimes appartient aux communautés autochtones qui vivent le long de ce fleuve vital, souvent leur seule voie d’accès au monde extérieur.
Ces familles voyageaient à bord d’un bateau parti quelques heures plus tôt de Pucallpa, la capitale régionale. Soixante-cinq passagers s’entassaient pour rejoindre des villages isolés, là où aucune route ne passe. L’autre embarcation, vide, était simplement amarrée à côté.
« Il y a eu un énorme éboulement et le bateau a rapidement coulé. Les gens sont sortis par les fenêtres pour se sauver »
Victorino, survivant de la tragédie
Des conditions particulièrement dangereuses
Nous sommes en pleine saison des pluies en Amazonie. Les sols gorgés d’eau deviennent instables, surtout sur les berges abruptes du fleuve Ucayali. À cela s’ajoute un épais brouillard matinal qui réduit la visibilité à presque zéro.
Le capitaine de la Marine chargé des recherches explique que le courant est extrêmement fort en cette période de crue. Les rapides compliquent terriblement les opérations. Lundi soir déjà, les équipes ont dû suspendre les recherches faute de lumière suffisante, reprenant dès les premières lueurs du jour suivant.
La Marine péruvienne a déployé un bateau spécialisé et bénéficie du soutien aérien de la police nationale. Mais face à la puissance du fleuve, les moyens semblent dérisoires. Chaque heure qui passe réduit les espoirs de retrouver des survivants.
Un trafic fluvial souvent informel
L’enquête devra déterminer si le bateau respectait les normes de sécurité. Les autorités locales n’excluent pas qu’il ait transporté plus de passagers que autorisé, une pratique malheureusement courante sur ces lignes isolées.
Dans ces régions reculées, les contrôles sont rares. Les habitants n’ont souvent pas d’autre choix que d’emprunter ces embarcations, même quand elles sont vétustes ou surchargées. Le directeur de l’agence sanitaire régionale parle ouvertement de transport « informel », sans les mesures de sécurité minimales.
Cette tragédie rappelle douloureusement un précédent accident survenu en août 2021 sur le fleuve Huallaga, également en Amazonie. Une collision entre deux bateaux avait coûté la vie à vingt-deux personnes, là encore à cause d’une surcharge et du brouillard.
L’Amazonie, un écosystème fragile face au changement climatique
Ces dernières années, les experts constatent une intensification des phénomènes extrêmes en Amazonie. Les pluies sont plus abondantes, plus concentrées. Les glissements de terrain se multiplient le long des fleuves.
Le déboisement, même loin en amont, accentue l’érosion des berges. Les racines des arbres ne jouent plus leur rôle de consolidation des sols. Résultat : des pans entiers de forêt s’effondrent soudainement dans l’eau, emportant tout sur leur passage.
Pour les communautés autochtones, déjà parmi les plus vulnérables du Pérou, ces catastrophes s’ajoutent à une longue liste de difficultés. Isolement, manque d’infrastructures, précarité économique… Le drame d’Iparia met cruellement en lumière leur quotidien.
Des survivants marqués à jamais
Une vingtaine de blessés ont pu quitter l’hôpital dès lundi. Mais le choc psychologique, lui, restera longtemps. Voir ses proches disparaître sous ses yeux, lutter pour sortir d’une cabine qui se remplit d’eau en quelques secondes… Ces images hanteront les survivants pendant des années.
Sur les rives, des valises éventrées flottent encore, des marchandises dérivent au gré du courant. Des scènes irréelles qui contrastent avec la beauté sauvage de l’Amazonie.
Les autorités promettent une enquête approfondie. Mais au-delà des responsabilités individuelles, c’est tout un système de transport fluvial en zone qui est pointé du doigt. Comment garantir la sécurité quand les besoins sont immenses et les moyens limités ?
Un appel à la solidarité nationale
Depuis l’annonce du drame, les messages de soutien affluent de tout le Pérou. Des collectes de vêtements, de nourriture et de médicaments s’organisent pour venir en aide aux familles sinistrées.
Car au-delà des chiffres, il y a des visages, des histoires brisées. Des enfants qui ne rentreront pas chez eux, des parents qui attendent désespérément des nouvelles, des villages entiers en deuil.
Ce drame nous rappelle à tous la fragilité de la vie dans ces territoires immenses et sauvages. Et l’urgence qu’il y a à mieux protéger ceux qui y vivent au quotidien.
À l’heure où nous publions ces lignes, les recherches se poursuivent sans relâche. Chaque minute compte. Nous pensons très fort aux familles qui attendent un miracle au bord du fleuve Ucayali, et nous adressons toutes nos condoléances à celles qui ont déjà perdu un être cher dans cette terrible catastrophe.
L’Amazonie continue de nous fasciner par sa beauté. Mais elle nous rappelle aussi, parfois dans la douleur, qu’elle reste un milieu impitoyable où l’homme doit rester humble face aux forces de la nature.
