Imaginez une heure de pluie seulement, mais si intense qu’elle transforme une ville côtière paisible en un chaos aquatique mortel. C’est ce qui s’est produit à Safi, au Maroc, où des crues soudaines ont emporté la vie de vingt-et-une personnes en une seule journée. Ce drame, qualifié de « journée noire » par les habitants, marque le bilan le plus lourd pour des intempéries de ce type depuis plus d’une décennie dans le pays.
Une catastrophe imprévisible dans une ville historique
Safi, cette cité portuaire située à environ trois cents kilomètres au sud de Rabat, est connue pour son patrimoine riche et sa médina pittoresque. Pourtant, en cette fin d’automne, elle a été le théâtre d’un événement tragique. Des précipitations orageuses d’une rare violence ont provoqué des écoulements torrentiels exceptionnels, submergeant habitations et commerces en un temps record.
Les autorités locales ont décrit une situation où, en l’espace d’une heure à peine, l’eau s’est infiltrée partout. Au moins soixante-dix maisons et boutiques dans la vieille ville ont été touchées. Dix véhicules ont été emportés par les flots, et plusieurs axes routiers ont été endommagés, isolant temporairement des quartiers entiers.
Les images partagées sur les réseaux sociaux témoignent de la puissance dévastatrice : des torrents de boue dévalant les rues, charriant poubelles et voitures comme de simples jouets. Un mausolée historique apparaît à moitié englouti, tandis que les embarcations de la Protection civile luttent pour atteindre les résidents piégés.
Un bilan humain accablant
Le chiffre officiel fait état de vingt-et-une victimes décédées. Trente-deux personnes ont été blessées et transportées à l’hôpital de la ville. La plupart ont pu quitter les lieux après avoir reçu les soins nécessaires, mais pour les familles des disparus, le choc reste immense.
« C’est une journée noire », confie Hamza Chdouani, un habitant contacté sur place. Un autre résident, Marouane Tamer, exprime sa frustration : « Pourquoi aucun camion n’est venu pomper l’eau comme le faisait auparavant la société chargée de la distribution d’eau et d’électricité ? » Ces témoignages reflètent le sentiment d’impuissance face à une catastrophe d’une ampleur inattendue.
En soirée, le niveau de l’eau avait commencé à baisser, révélant un paysage de désolation : boue partout, véhicules renversés, débris flottants. Les forces auxiliaires et la Protection civile continuaient leurs opérations pour dégager les zones et rechercher d’éventuelles autres victimes.
Les efforts se poursuivent pour sécuriser les zones touchées et apporter le soutien nécessaire aux populations affectées par cette situation exceptionnelle.
Autorités locales de Safi
Les alertes météorologiques étaient-elles suffisantes ?
La Direction générale de la météorologie avait pourtant prévenu la veille : fortes pluies orageuses attendues dans plusieurs provinces, accompagnées de chutes de neige en altitude. Des bulletins avaient circulé pour alerter la population sur les risques du week-end.
Malgré ces annonces, l’intensité locale des précipitations a dépassé les prévisions. Les experts expliquent que l’automne marocain, traditionnellement une période de transition douce, voit désormais ses températures rester élevées plus longtemps. Cette chaleur retient plus de vapeur d’eau dans l’atmosphère, augmentant le potentiel d’averses extrêmes.
Ce phénomène n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une tendance plus large liée au réchauffement climatique, qui modifie les patterns pluviométriques et rend ces événements plus fréquents et plus violents.
Un pays confronté à des contrastes climatiques extrêmes
Le Maroc traverse actuellement sa septième année consécutive de grave sécheresse. Réservoirs à des niveaux critiques, agriculture en souffrance : le pays lutte contre le manque d’eau chronique. Pourtant, paradoxalement, quand la pluie arrive, elle peut être destructrice.
Cet automne n’est pas le premier à connaître de telles tragédies. En septembre 2024, des intempéries dans le sud et le sud-est avaient déjà causé dix-huit morts. Plus loin dans le temps, novembre 2014 avait vu plus de trente victimes dans le sud, dues à des crues au pied de l’Atlas.
Les souvenirs les plus douloureux remontent à 1995, avec les terribles inondations de la vallée de l’Ourika, près de Marrakech, qui avaient emporté plusieurs centaines de vies. Ces précédents rappellent que le risque inondation existe bel et bien, même dans un pays marqué par l’aridité.
Événements majeurs récents au Maroc :
- Septembre 2024 : 18 morts dans le sud et sud-est
- Novembre 2014 : Plus de 30 morts dans le sud
- 1995 : Plusieurs centaines de victimes dans la vallée de l’Ourika
- Décembre 2025 : 21 morts à Safi
Les défis de la gestion des risques inondations
Face à ces crues éclair, plusieurs questions émergent. La médina de Safi, avec ses ruelles étroites et son bâti ancien, est particulièrement vulnérable aux écoulements rapides. Les systèmes de drainage, conçus pour des pluies modérées, se révèlent insuffisants lors d’épisodes extrêmes.
Les habitants pointent du doigt l’absence de mesures immédiates, comme le pompage d’eau qui était pratiqué auparavant. Cette interrogation soulève le débat sur l’évolution des infrastructures et des protocoles d’urgence dans les villes historiques.
Les autorités, de leur côté, insistent sur le caractère exceptionnel de l’événement et mobilisent tous les moyens pour assister les sinistrés. Sécurisation des zones, aide aux familles, recherches complémentaires : l’appareil d’État est pleinement engagé.
Vers une adaptation inévitable face au climat changeant
Ce drame à Safi illustre parfaitement le double visage du changement climatique au Maroc : sécheresse prolongée d’un côté, pluies intenses et destructrices de l’autre. Les experts alertent depuis longtemps sur cette augmentation des extrêmes météorologiques.
La présence persistante de vapeur d’eau chaude dans l’atmosphère favorise des orages plus puissants. Les modèles climatiques prévoient que ces phénomènes deviendront plus courants, obligeant le pays à repenser sa résilience.
Amélioration des systèmes d’alerte, renforcement des infrastructures dans les zones à risque, plans d’urbanisme adaptés : les pistes sont nombreuses. Mais le temps presse, comme le montre cette tragédie qui a frappé une communauté entière en quelques instants.
Solidarité et reconstruction après le choc
Dans les heures qui ont suivi, la solidarité s’est organisée. Les équipes de secours ont travaillé sans relâche, dégageant les débris et sécurisant les bâtiments fragilisés. Les habitants, encore sous le choc, commencent à évaluer les dégâts matériels colossaux.
Pour beaucoup, la reconstruction sera longue. Mais au-delà des pertes humaines irréparables, cette catastrophe pourrait marquer un tournant dans la prise de conscience collective des risques climatiques nouveaux.
Alors que de nouvelles pluies sont annoncées pour les jours suivants, la vigilance reste de mise. Safi et le Maroc entier portent le deuil de ces vingt-et-une vies perdues, rappel brutal que la nature, même dans un pays assoiffé, peut se montrer impitoyable quand elle se déchaîne.
Ce drame nous interpelle tous : jusqu’à quand ignorerons-nous les signaux d’un climat qui change radicalement ? La réponse appartient désormais aux décideurs, mais aussi à chaque citoyen conscient des enjeux de demain.
Ce genre de catastrophe n’est pas une fatalité. Une meilleure anticipation et des infrastructures adaptées peuvent sauver des vies. Le souvenir de Safi doit pousser à l’action.
En attendant, nos pensées accompagnent les familles endeuillées et toute la population de Safi dans cette épreuve douloureuse.









