Dans la paisible localité de Barja, à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale libanaise, la tragédie a frappé mardi soir. Un raid aérien israélien a visé un immeuble résidentiel où avaient trouvé refuge des familles ayant fui les bombardements dans le sud du pays. Selon un bilan provisoire du ministère de la Santé, au moins 20 personnes ont été tuées. Mais les secouristes, qui s’activent depuis l’aube à fouiller les décombres, ont déjà retiré 30 corps, principalement des femmes et des enfants.
Parmi les rescapés, Moussa Zahrane, 54 ans, témoigne du drame qui s’est noué sous ses yeux. Son appartement, mitoyen de l’immeuble visé, a été soufflé par l’explosion. “Ils ont fui la mort, mais elle les a rattrapés ici”, dit-il avec émotion, évoquant le sort de ses voisins. Lui-même a été blessé aux pieds par des éclats, tandis que sa femme et son fils sont encore hospitalisés. Un miraculé, qui a failli perdre son unique enfant : “J’allais entrer dormir, et pendant que j’embrassais mon fils, tout a explosé autour de moi.”
Un lourd bilan et des scènes d’horreur
Sur place, les scènes sont difficiles. Les sauveteurs extraient des corps d’enfants dans les escaliers et des restes humains éparpillés. Le bilan pourrait encore s’alourdir, plusieurs victimes demeurant prisonnières des gravats. Trois familles déplacées du sud vivaient dans l’appartement pulvérisé par la frappe, selon le maire de Barja Hassan Saad. Environ 27 000 déplacés avaient trouvé refuge dans cette localité sunnite du Chouf, hors des bastions du Hezbollah chiite habituellement ciblés.
Ce n’est pas la première fois que Barja est touchée. Le 12 octobre dernier, un raid similaire avait fait 4 morts et 18 blessés. La municipalité avait alors appelé “toute personne visée ou en danger à s’éloigner”, exhortant les autorités à “calmer la situation, protéger les civils innocents et apaiser les tensions que l’ennemi israélien cherche à attiser”. Un appel réitéré ce mercredi, pour “ne pas mettre en danger nos habitants et nos invités”.
La terreur semée délibérément
Des frappes meurtrières en dehors des fiefs du Hezbollah, touchant des bâtiments abritant des civils déplacés : la stratégie israélienne semble claire. “Voilà ce qu’est Israël : il veut semer la peur et diviser. Vous n’êtes en sécurité nulle part” résume Mahmoud, un militaire retraité de 54 ans ayant fui le sud avec sa famille. Son domicile à Barja a été endommagé par le souffle de l’explosion, mais il a échappé au pire.
Pourtant, il pensait sa famille à l’abri dans ce secteur épargné par les combats. “Il n’y a pas de présence militaire ici, on devait se sentir en sécurité, mais soudain tout a changé” déplore-t-il, amer. Le sentiment d’une sécurité précaire, voire illusoire, pour les dizaines de milliers de déplacés ayant cru trouver un havre de paix loin du front. Une vie suspendue aux prochaines frappes d’un conflit qui continue de faire rage, touchant aveuglément militaires et civils.
L’exode forcé des populations
Face à l’intensification des bombardements israéliens dans le sud depuis fin septembre, de nombreuses familles ont pris la route de l’exode, espérant trouver la sécurité plus au nord. Mais les capacités d’accueil s’amenuisent, tandis que les frappes s’étendent. La petite ville de Barja abrite déjà 35 000 habitants, auxquels s’ajoutent 10 000 réfugiés syriens et maintenant 27 000 déplacés du sud.
Une situation intenable, qui pousse le maire à lancer un cri d’alarme aux autorités. Il en appelle à “protéger et rassurer” ces populations vulnérables, victimes collatérales d’un conflit qui les dépasse. Mais dans un pays en proie à de multiples crises, la tâche s’annonce ardue. Le Liban, épuisé par des décennies de guerre et une crise économique sans précédent, peine à protéger ses propres citoyens. Et les civils continuent de payer le plus lourd tribut.
Un lourd tribut payé par les civils
Depuis le début de ce nouveau cycle de violences il y a 3 mois, les victimes civiles se comptent par dizaines, principalement dans le sud du Liban mais aussi à Beyrouth et ses environs. Des familles entières décimées, des parents endeuillés, des enfants traumatisés. Des vies brisées, des destins anéantis par un conflit vieux de plusieurs décennies qui semble ne jamais devoir s’arrêter.
“Ils ont fui la mort, mais elle les a rattrapés ici.”
Moussa Zahrane, rescapé de la frappe israélienne à Barja.
Des mots qui résonnent douloureusement, résumant le destin tragique de ces familles déplacées. Parties pour sauver leur vie, elles l’ont finalement perdue sous les décombres d’un immeuble qui devait être leur refuge. Une mort absurde et injuste, comme toutes celles fauchées par cette guerre sans fin. Et chaque nouvelle frappe, chaque nouvelle victime, ne fait que raviver les blessures et attiser les rancoeurs.
Un engrenage fatal qui semble sans issue, tant que la logique militaire primera sur la protection des civils. Tant que des familles innocentes continueront de payer le prix du sang. Le Liban, meurtri et divisé, saura-t-il trouver la force de s’extraire de cette spirale destructrice ? L’avenir du pays et de sa population en dépend. Mais ce soir à Barja, alors que les secours s’activent encore dans les ruines, c’est la sidération et le chagrin qui dominent. Comme un symbole du calvaire enduré depuis trop longtemps par le peuple libanais.