Imaginez être arrêté sans motif précis, jeté dans une cellule surpeuplée, privé de nourriture et d’eau pendant des jours, puis soumis à des sévices que l’on croyait appartenir à un passé révolu. Ce n’est pas le scénario d’un film d’horreur. C’est ce que dénonce aujourd’hui un comité des Nations Unies à propos de milliers de Palestiniens détenus depuis octobre 2023.
Un cri d’alarme rarement aussi net de l’ONU
Le Comité contre la torture des Nations Unies ne mâche pas ses mots. Il exige d’Israël la création immédiate d’une commission d’enquête indépendante pour faire toute la lumière sur des pratiques qu’il qualifie de « torture et mauvais traitements » commis dans le cadre du conflit en cours.
Ce n’est pas une simple recommandation. C’est une demande formelle, assortie d’une condamnation sans ambiguïté des actes du 7 octobre 2023 tout en pointant du doigt la réponse israélienne jugée disproportionnée.
Des témoignages qui glacent le sang
Les rapporteurs onusiens disent avoir été « consternés » par la répétition et la gravité des descriptions recueillies. Coups violents portés sur toutes les parties du corps, y compris les zones génitales. Chocs électriques. Maintien prolongé dans des positions douloureuses. Simulations d’exécution par noyade. Conditions de détention volontairement inhumaines.
Ces pratiques ne seraient pas isolées. Elles seraient, selon le Comité, généralisées et systématiques à l’égard des personnes arrêtées dans les Territoires palestiniens ou à Gaza depuis l’automne 2023.
« Des actes de torture systématiques et généralisés infligés aux Palestiniens »
Comité de l’ONU contre la torture, novembre 2025
La détention administrative portée à des niveaux jamais vus
Autre point noir soulevé : l’explosion du recours à la détention administrative. Des milliers de Palestiniens sont emprisonnés sans inculpation ni procès, parfois pour des durées indéterminées renouvelables tous les six mois.
Le Comité note que ce mécanisme, déjà critiqué par le passé, a atteint des proportions « sans précédent » depuis octobre 2023. Des familles entières ignorent parfois où se trouvent leurs proches pendant des semaines.
En chiffres (estimations croisées ONU et ONG) :
• Plus de 9 000 Palestiniens en détention administrative fin 2025
• Plusieurs milliers arrêtés à Gaza et transférés en Israël
• Des centaines de mineurs concernés
Les « moyens spéciaux » d’interrogatoire toujours en vigueur
L’un des points les plus sensibles reste l’autorisation persistante de recourir à des « moyens spéciaux » lors des interrogatoires. Des techniques dont la nature exacte demeure secrète, mais que de nombreux observateurs assimilent à de la coercition physique ou psychologique.
Le Comité exige leur suppression pure et simple et rappelle qu’aucune circonstance, même exceptionnelle, ne saurait justifier la torture. Il demande également qu’Israël crée enfin dans son code pénal une infraction distincte de torture, conforme à la Convention internationale qu’il a pourtant ratifiée.
La violence des colons, un autre sujet d’inquiétude majeure
Le rapport ne se limite pas aux forces de sécurité. Il pointe aussi la multiplication des agressions commises par des colons israéliens en Cisjordanie, souvent en présence ou avec la complicité de militaires.
Ces violences, parfois mortelles, se déroulent dans un climat d’impunité presque totale. Le Comité demande des enquêtes systématiques et des poursuites effectives.
La réponse israélienne : un rejet ferme
Face à ces accusations, la délégation israélienne a balayé les critiques d’un revers de main. Elle affirme respecter scrupuleusement le droit international, même face à des adversaires qui, eux, ne s’embarrassent d’aucune règle.
Pour les autorités israéliennes, les mesures prises sont nécessaires pour faire face à une menace existentielle et protéger la population après les massacres du 7 octobre.
Un précédent qui pèse lourd
Ce n’est pas la première fois qu’Israël est mis en cause pour ses méthodes d’interrogatoire. Déjà dans les années 1980-1990, des commissions internes avaient reconnu l’usage de techniques aujourd’hui considérées comme de la torture.
En 1999, la Cour suprême israélienne avait interdit les « moyens modérés de pression physique ». Mais depuis les attentats du 11 septembre 2001 et surtout depuis octobre 2023, de nombreux observateurs estiment que ces garde-fous ont été progressivement assouplis, voire contournés.
Pourquoi cette demande d’enquête indépendante est historique
Le Comité ne se contente pas de critiquer. Il pose une exigence rare : la création d’une commission ad hoc, extérieure aux institutions israéliennes, dotée de pouvoirs réels d’investigation et capable de poursuivre jusqu’aux plus hauts gradés.
Cette demande intervient dans un contexte où la Cour pénale internationale a déjà émis des mandats d’arrêt contre des responsables israéliens et palestiniens. Elle pourrait donc constituer un précédent lourd de conséquences.
Et maintenant ?
Israël a jusqu’à présent toujours refusé toute enquête internationale sur ses pratiques sécuritaires. Mais la pression monte. Des ONG, des rapporteurs spéciaux, et maintenant un organe conventionnel de l’ONU exigent des comptes.
Dans les couloirs de l’ONU à Genève, on murmure que si rien ne bouge d’ici la prochaine session, le Comité pourrait franchir une étape supplémentaire et saisir d’autres instances.
En attendant, des milliers de familles palestiniennes continuent d’espérer le retour de proches dont elles ignorent parfois s’ils sont encore en vie.
La torture n’est jamais justifiable. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain.
Quelle que soit la gravité des crimes commis le 7 octobre, la réponse ne peut pas être l’abandon des principes fondamentaux qui fondent notre humanité commune.
Le silence, lui, a déjà trop duré.









