Le Togo s’apprête à franchir une étape cruciale dans la mise en place de sa nouvelle Constitution avec l’organisation des toutes premières élections sénatoriales le 2 février prochain. Cette annonce du gouvernement intervient alors que cette réforme constitutionnelle suscite une vive polémique dans le pays. L’opposition et la société civile dénoncent un stratagème du président Faure Gnassingbé pour se maintenir indéfiniment au pouvoir malgré la limitation des mandats présidentiels.
Une refonte constitutionnelle très controversée
Adoptée définitivement en avril dernier, la nouvelle Constitution togolaise abolit l’élection du président au suffrage universel direct au profit d’un régime parlementaire. Désormais, ce sont les députés et les sénateurs réunis en Congrès qui éliront le chef de l’État, dont la fonction devient purement honorifique. Le pouvoir effectif sera exercé par un Premier ministre issu de la majorité parlementaire.
Pour ses détracteurs, cette réforme constitue un recul démocratique majeur. Ils y voient une manœuvre du président Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005 après avoir succédé à son père qui a dirigé le pays pendant 38 ans, pour contourner la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels et se maintenir indéfiniment à la tête de l’État.
Un Sénat institué en 2002 mais jamais mis en place
Bien qu’institué depuis la révision constitutionnelle de 2002, le Sénat n’a en réalité jamais vu le jour au Togo. Sa mise en place effective via les élections sénatoriales du 2 février constitue donc l’une des dernières pièces du puzzle pour faire entrer en vigueur la nouvelle Constitution.
Selon le gouvernement togolais, les candidats au Sénat pourront faire campagne du 17 au 31 janvier. Les deux tiers des sénateurs seront élus au suffrage indirect par les conseillers régionaux et municipaux récemment élus. Le tiers restant sera directement nommé par le président de la République.
Des prérogatives renforcées pour le Parlement
Avec la nouvelle Constitution, le Sénat jouera un rôle clé en examinant les projets de lois en première lecture avant de les transmettre à l’Assemblée nationale. Mais surtout, députés et sénateurs réunis en Congrès auront le pouvoir d’élire le président de la République, une prérogative auparavant dévolue au peuple.
Cette modification constitutionnelle assure plus de représentativité selon le camp présidentiel, mais l’opposition n’y voit qu’un moyen de confisquer le pouvoir.
D’après une source proche du pouvoir
Faure Gnassingbé, grand gagnant de la réforme ?
Actuellement chef du parti présidentiel UNIR, Faure Gnassingbé apparaît comme le grand bénéficiaire de cette refonte institutionnelle. Son parti a raflé une écrasante majorité aux dernières élections législatives et locales, lui assurant de facto le contrôle du futur Sénat.
Même si la fonction présidentielle est largement honorifique dans le nouveau système, le chef de l’État en exercice conservera un pouvoir d’influence certain en nommant un tiers des sénateurs et en présidant le parti majoritaire au Parlement appelé à désigner le Premier ministre, véritable détenteur du pouvoir exécutif.
Une opposition affaiblie et divisée
Face à ce qui s’apparente à un verrouillage institutionnel, l’opposition togolaise semble impuissante. Malgré ses appels au rassemblement, elle peine à mobiliser massivement dans la rue depuis l’adoption de la réforme constitutionnelle, les manifestations étant interdites au Togo depuis 2022.
Divisés et affaiblis par des années de répression, les opposants se retrouvent marginalisés sur la scène politique à l’aube de ce nouveau système. Beaucoup redoutent une dérive autoritaire accrue et une confiscation durable du pouvoir par Faure Gnassingbé et son clan, et ce en dépit des garde-fous constitutionnels.
2023, année charnière pour la démocratie togolaise
Avec les sénatoriales de février puis la désignation d’un nouveau président par le Congrès, 2023 s’annonce comme une année charnière pour la démocratie togolaise. La mise en place effective de la nouvelle Constitution sera scrutée de près, aussi bien par les acteurs nationaux que par la communauté internationale.
Si le pouvoir en place assure vouloir renforcer les institutions démocratiques du pays, l’opposition craint un dangereux recul des libertés durement acquises ces dernières décennies. Dans ce bras de fer politique, le peuple togolais semble pour l’heure réduit au rôle de spectateur, privé de son droit d’élire directement son président.
Reste à savoir si ce changement de Constitution permettra réellement de faire avancer le Togo sur le chemin d’une démocratie apaisée et consensuelle, ou s’il ne fera que renforcer l’emprise du clan Gnassingbé sur le pays. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir politique de cette nation ouest-africaine.