TikTok, le réseau social chinois ultra populaire auprès des jeunes, se retrouve une nouvelle fois dans la tourmente. Le Venezuela vient en effet de lui infliger une amende record de 10 millions de dollars pour «négligence» dans le contrôle des défis dangereux circulant sur sa plateforme. En cause : la mort tragique de 3 adolescents vénézuéliens ayant participé à un challenge viral à risque relayé massivement sur TikTok ces dernières semaines, ainsi que l’intoxication de 200 autres dans plusieurs établissements scolaires du pays après avoir inhalé des substances chimiques dans le cadre de ces mêmes défis.
Une sanction historique qui en appelle d’autres
Prononcée par la Cour suprême du Venezuela ce lundi 30 décembre, cette pénalité financière sans précédent à l’égard de TikTok doit être payée sous 8 jours. Si le montant peut paraître dérisoire à l’échelle d’une entreprise valorisée à plusieurs dizaines de milliards de dollars, la décision marque cependant un tournant dans la volonté affichée par les autorités de tenir les plateformes pour responsables des dérives constatées. D’après la juge Tania D’Amelio, l’amende sanctionne «la négligence de TikTok, qui n’a pas mis en place les mesures nécessaires pour empêcher la diffusion de publications incitant à des défis viraux dangereux.»
Les fonds récoltés via cette sanction seront utilisés pour créer un fonds d’aide aux victimes de l’application, destiné à compenser les dommages physiques et psychologiques subis, en particulier chez les mineurs. Interrogé sur le sujet, le président vénézuélien Nicolas Maduro a de son côté appelé à une convocation des représentants de TikTok en justice, pour qu’ils s’expliquent sur les récents drames.
Une plateforme régulièrement pointée du doigt
Ce n’est pas la première fois que TikTok se retrouve sur la sellette concernant les contenus problématiques hébergés. Ces derniers mois, plusieurs pays comme les États-Unis ont mis la pression sur la plateforme, suspectée de servir les intérêts de Pékin via la collecte massive de données personnelles sur ses utilisateurs. Baptisé en interne Project Texas, un vaste chantier technique et juridique a été lancé par TikTok pour isoler les informations des profils américains et européens dans des serveurs locaux, sous le contrôle d’entreprises de ces régions. Mais nombre d’experts doutent de l’efficacité réelle de ces mesures. En octobre 2022, la mort par overdose d’Alyssa Zeitz, 14 ans, que sa famille attribue à une prise « massive de comprimés » imitant un défi viral, a provoqué une vague d’indignation outre-Atlantique.
Ces réseaux sont en train de détruire nos enfants. Il faut que l’État les contrôle enfin !
– Amy Zeitz, tante d’Alyssa, dans la presse américaine
Un contrôle des contenus insuffisant ?
Pour tenter de redorer son image, TikTok multiplie les initiatives : ouverture de « centres de transparence », renforcement des règles pour les moins de 18 ans, meilleure traçabilité des publicités politiques… Mais beaucoup jugent ces efforts insuffisants face à l’ampleur des risques. Malgré les centaines de modérateurs employés et les outils d’IA déployés, le volume astronomique de vidéos postées chaque jour rend la tâche titanesque. Surtout, la viralité extrêmement rapide des challenges incite à leur propagation et à une surenchère dans le sensationnalisme.
Une étude menée par des chercheurs américains et publiée en octobre dans Interface souligne ainsi que les adolescents sont particulièrement vulnérables à ces phénomènes de défi :
La prise de risque et la quête de sensations sont des caractéristiques normales du développement à l’adolescence. Mais elles sont exacerbées par la dimension sociale des challenges en ligne, qui encouragent le mimétisme.
– Extrait de l’étude « Social media challenges: A research overview » (Octobre 2022).
En France aussi, la problématique est suivie de près par les autorités. Début décembre, après la condamnation d’une influenceuse pour « mise en danger de la vie d’autrui », le secrétaire d’État au numérique Jean-Noël Barrot a appelé TikTok à « prendre ses responsabilités » et à instaurer une « modération plus efficace ». Plusieurs familles de victimes envisagent désormais des recours en justice pour obtenir réparation.
Vers une régulation plus stricte des réseaux ?
Si l’annonce de l’amende infligée par le Venezuela n’a pas provoqué de réaction officielle de TikTok à ce stade, elle montre que la pression monte sur les réseaux sociaux pour mieux prévenir les dérives. Après les scandales liés aux fake news et à la désinformation, les défis viraux dangereux représentent une nouvelle épine dans le pied des plateformes.
Beaucoup réclament une régulation publique plus contraignante, sur le modèle des médias traditionnels. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, le cadre légal semble avoir un train de retard sur les évolutions ultrarapides du digital. Le débat promet en tout cas d’être vif dans les prochains mois, entre impératif de protection des utilisateurs et liberté d’expression. Une chose est sûre : pour restaurer la confiance, les géants du web vont devoir montrer des gages sérieux face à ce phénomène inquiétant.