Dans un jardin verdoyant de Conakry, un homme de 78 ans s’assoit, un sourire discret aux lèvres, mais le regard brûlant d’une détermination sans faille. Tierno Monénembo, l’un des plus grands écrivains francophones d’Afrique, n’a jamais plié face aux injustices. Alors que la Guinée s’approche d’un référendum controversé, cet homme, dont les mots ont traversé les frontières, continue de défier une junte militaire qu’il accuse de vouloir étouffer la liberté. Son histoire, marquée par un exil forcé, des combats politiques et un manuscrit mystérieusement volé, résonne comme un cri pour la justice dans un pays où les voix dissidentes s’éteignent une à une.
Une Voix Inébranlable Contre l’Oppression
À l’approche du référendum constitutionnel prévu pour le 21 septembre, Tierno Monénembo ne mâche pas ses mots. Pour lui, ce scrutin n’est qu’une façade, une tentative de la junte dirigée par le général Mamadi Doumbouya de légitimer un coup d’État orchestré en 2021. Ce putsch a renversé le président civil Alpha Condé, promettant un retour rapide à un gouvernement civil. Mais les espoirs se sont vite dissipés. Des élections sont prévues dans les mois à venir, et tout indique que Doumbouya pourrait se présenter, trahissant sa promesse initiale. Monénembo, avec sa plume acérée, dénonce cette dérive autoritaire dans ses chroniques, publiées dans des journaux satiriques et internationaux.
« La dictature, c’est l’injustice à son paroxysme », déclare-t-il, la voix teintée d’une colère contenue. Pour l’écrivain, les droits fondamentaux sont bafoués quotidiennement en Guinée. Les partis politiques sont suspendus, les manifestations interdites depuis 2022, et les opposants politiques sont arrêtés, condamnés, ou forcés à l’exil. Dans ce climat de répression, Monénembo reste l’une des rares voix à s’exprimer librement depuis le sol guinéen, un acte de courage qui frôle l’audace.
« Ils arrêtent tout, même le cours de l’Histoire. »
Tierno Monénembo
Un Manuscrit Volé : Une Blessure Profonde
En mai 2024, un événement personnel a ébranlé l’écrivain. Lors d’un cambriolage à son domicile, un seul objet a été dérobé : son vieil ordinateur, contenant un manuscrit inédit, fruit de trois années de travail. Ce vol, qu’il qualifie de mutilation, l’a profondément marqué. « Mettez-moi en prison, tuez-moi. Mais pourquoi me voler un manuscrit ? », s’interroge-t-il, convaincu que les autorités guinéennes sont derrière cet acte. Selon lui, un voleur ordinaire n’aurait pas ignoré des biens plus précieux pour s’emparer d’un simple ordinateur.
Ce manuscrit, qui devait bientôt rejoindre son éditeur, représentait bien plus qu’un texte. Il incarnait les souvenirs d’une enfance marquée par l’indépendance de la Guinée, un thème récurrent dans l’œuvre de Monénembo. Malgré les efforts de jeunes du quartier pour retrouver l’ordinateur, l’espoir s’est éteint. Pourtant, loin de se résigner, l’écrivain a repris sa plume, déterminé à reconstruire son œuvre, même si, comme il le dit, « on ne plonge pas deux fois dans la même rivière ».
Un Exil qui a Forgé une Œuvre
L’histoire de Tierno Monénembo est celle d’un homme façonné par l’exil. En 1969, fuyant la dictature d’Ahmed Sékou Touré, il trouve refuge au Sénégal, puis en France et en Côte d’Ivoire. Ces années loin de son pays natal nourrissent son écriture. Étudiant en biochimie dans les années 70, il rédige son premier roman, Les Crapauds-brousse, avec un objectif clair : dénoncer le régime oppressif de Touré. Depuis, il a publié plus d’une dizaine d’ouvrages, explorant l’histoire tumultueuse de l’Afrique et de la Guinée.
Son œuvre, récompensée par des prix prestigieux comme le Prix Renaudot en 2008 pour Le Roi de Kahel, mêle récits historiques et réflexions sur les luttes pour la liberté. Chaque livre est un acte de résistance, une façon de donner une voix à ceux que l’Histoire a tenté de réduire au silence. Pourtant, Monénembo refuse de se voir comme un héros. « Mourir pour ses idées, c’est une très belle mort pour un écrivain », affirme-t-il, défiant ouvertement ceux qui pourraient chercher à le faire taire.
« S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent. »
— Tierno Monénembo, défiant les autorités guinéennes
La Guinée sous le Joug de la Junte
Depuis le coup d’État de 2021, la Guinée vit dans un climat de peur. Les disparitions forcées d’opposants politiques sont devenues monnaie courante, selon Monénembo. « On ne sait même pas où sont les gens, s’ils vivent encore ou pas », déplore-t-il. Cette répression systématique vise à museler toute forme de dissidence. Les manifestations, autrefois un moyen d’exprimer le mécontentement populaire, sont désormais sévèrement réprimées. Les partis politiques, quant à eux, ont été réduits au silence, leurs leaders emprisonnés ou exilés.
Monénembo pointe du doigt un système qui, selon lui, cherche à figer le temps. « Ils arrêtent tout, même le cours de l’Histoire », répète-t-il, soulignant l’absurdité d’un pouvoir qui s’accroche à ses privilèges au détriment du peuple. Pourtant, il refuse de céder au désespoir. Pour lui, le peuple guinéen, qu’il décrit comme courageux, a toujours lutté contre l’oppression, même si la victoire reste hors de portée.
Un Regard Critique sur l’Inaction Internationale
L’écrivain ne réserve pas ses critiques à la seule junte guinéenne. Il déplore l’attitude de la France, qu’il accuse de rester « silencieuse, pour ne pas dire complice » face aux dérives autoritaires en Guinée. Alors que Paris a vu ses relations se dégrader avec d’autres juntes militaires en Afrique de l’Ouest, comme au Mali, au Niger et au Burkina Faso, Monénembo s’interroge sur ce qu’il perçoit comme une passivité face à la situation guinéenne. Ce silence, selon lui, contraste avec l’histoire de résistance du peuple guinéen, qui mérite un soutien international.
Pour illustrer la résilience de son peuple, Monénembo évoque les luttes menées depuis l’indépendance en 1958. Malgré les répressions successives, le peuple guinéen n’a jamais cessé de revendiquer ses droits. « On n’a jamais vu un peuple revendiquer la dictature », insiste-t-il, convaincu que la démocratie est une aspiration universelle et inéluctable.
L’Espoir d’une Nouvelle Plume
Malgré les épreuves, Tierno Monénembo refuse de se laisser abattre. Après des mois de « black-out » créatif à la suite du vol de son manuscrit, il a retrouvé l’inspiration. Un nouveau roman, centré sur son enfance au moment de l’indépendance guinéenne, est en cours d’écriture. Bien que l’œuvre originale soit perdue à jamais, il aborde ce projet avec une énergie renouvelée, déterminé à ne pas laisser les censeurs avoir le dernier mot.
Ce retour à l’écriture est un symbole de sa résilience. Pour Monénembo, écrire, c’est résister. Chaque mot est une arme contre l’oubli et l’oppression. « La démocratie est la pente naturelle de l’Histoire », affirme-t-il, optimiste malgré les défis. Son combat, à la fois littéraire et politique, continue d’inspirer ceux qui croient en un avenir meilleur pour la Guinée.
Événement | Impact sur Monénembo |
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Coup d’État de 2021 | Renforce son engagement contre la junte |
Vol du manuscrit en 2024 | Perte de trois ans de travail, perçue comme une censure |
Répression des opposants | Motivation à rester une voix libre |
L’histoire de Tierno Monénembo est celle d’un homme qui refuse de plier. À 78 ans, il continue de porter haut les valeurs de liberté et de justice, défiant un pouvoir qui cherche à le réduire au silence. Son courage, sa plume et son optimisme face à l’adversité font de lui une figure incontournable de la lutte pour la démocratie en Guinée. Alors que le pays se prépare à un référendum controversé, une question demeure : jusqu’où ira la junte pour faire taire des voix comme la sienne ?